éditorial / Laurent Bigorgne
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Laurent Bigorgne
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La machine infernale poursuit son cours
par Laurent Bigorgne
Il y a débat parmi ceux qui cherchent à re-stabiliser notre système politique sur les moyens pour y parvenir. Le partage se dessine de plus en plus nettement entre ceux qui sont prêts à accepter un fonctionnement parlementaire très dégradé, principalement au motif qu’il faut gagner du temps. Et ceux qui, un peu plus nombreux chaque semaine, veulent une présidentielle organisée. On peut refuser cette discussion par principe, elle risque néanmoins de devenir prégnante dans les prochaines semaines.
Sigmaringen vs Colombey
Depuis sa sortie mi-septembre, "Sigmaringen, le crépuscule des bourreaux", le podcast événement [1] de Philippe Collin, connaît un succès remarquable. En un mois, les huit épisodes qui le composent auraient été téléchargés plus d’un million de fois… Soudainement, les Français se découvrent une passion pour cette ville du Bade-Wurtemberg, au sud-ouest de l’Allemagne, et surtout pour son château spectaculaire – celui D’un château l’autre de Céline (1957) –, qui accueillit de la fin de l’été 1944 au mois d’avril 1945 ce qui restait de la troupe pathétique et criminelle du régime de Vichy et des collaborateurs avec l’occupant allemand.
De quoi une telle audience est-elle le nom ? De notre soif collective pour l’histoire de France, particulièrement celle de la Seconde Guerre mondiale et de Vichy, ce "passé qui ne passe pas" (Henry Rousso) ? D’un goût morbide pour l’abîme ? Dans quelques années, on retiendra peut-être que l’automne 2025 vit les Français captivés par le laid visage de la collaboration en même temps qu’était liquidé l’héritage institutionnel forgé grâce au général de Gaulle… Certes, ce n’est pas l’effet d’un mouvement de cancel culture à la française, mais force est de constater que l’esprit du gaullisme ne souffle pas et ne soufflera plus sur la vie politique française.
Pourtant, il y aura sans doute foule le 9 novembre prochain sur la tombe du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises, mais combien d’authentiques gaullistes dans ses rangs ? Le costume est devenu beaucoup trop large et la fière Croix-de-Lorraine qui y est érigée ne sert plus de paratonnerre politique à personne. En effet, un sondage paru cette semaine (Verian/Le Figaro) montre que les Français expriment de "la honte" (53 %) et de "la colère" (49 %) s’agissant de la situation politique. Leur opinion sur les forces politiques est unanimement négative, à hauteur de 51 % pour le RN (qui enregistre cependant 36 % d’opinions positives, dont 18 % de très positives, loin devant les autres), 66 % pour LR à égalité avec le PS, 72 % pour Renaissance et 75 % pour LFI.
La montée des appels à la démission
Si les Français sont désormais ouvertement interrogés sur l’opportunité d’une démission du Président de la République, leur opinion n’est pas cristallisée. Les personnes interrogées dans cette même enquête sont même partagées : pour 28 %, un départ du locataire de l’Élysée permettrait de résoudre la situation ; pour 30 %, elle apaiserait la crise sans la résoudre ; pour 20 %, elle l’empirerait ; pour 10 %, elle serait sans impact (NSP 12 %). Chaque semaine qui passe, les appels à la démission du Président de la République enregistrent des renforts, qui n’ont rien à voir avec LFI.
À droite, des responsables politiques de premier plan – David Lisnard dès le mois de juin, Jean-François Copé en septembre, Édouard Philippe à nouveau ce jeudi – ont déjà franchi le Rubicon. Dès lors que le Premier ministre nommé en 2017 par Emmanuel Macron a ouvert les vannes, on voit mal comment LR pourra rester longtemps encore sur sa réserve. Au prochain blocage gouvernemental – qui paraît inexorable –, nul doute que le sujet va monter en puissance, ou même avant.
En parfait connaisseur des situations d’impopularité extrême, François Hollande a, quant à lui, plutôt cherché à conforter la position de plus en plus fragile d’Emmanuel Macron en martelant que "ce n’est pas le taux d’impopularité qui fait qu’on démissionne". Il a raison, mais il a la mémoire courte… En effet, selon l’Observatoire politique d’Elabe du 8 octobre, la cote de confiance de l’actuel Président atteint un nouveau point bas, à 14 % (4 points en dessous de ce qu’elle était au plus fort de la crise des "gilets jaunes"), c’est-à-dire le plus bas historique de François Hollande en novembre 2016, juste avant l’annonce de son renoncement à l’élection présidentielle de 2017, qui ressemble si fort à ce "départ ordonné" qu’Édouard Philippe appelle de ses vœux.
Vers une polycrise ?
Le président d’Horizons marque un point quand il décrit un État en pleine crise d’autorité. Quelques coups de sondes avec des membres de cabinets ministériels et avec certains directeurs d’administration centrale – particulièrement valeureux ces derniers temps - montrent à quel point la situation ressentie avec sévérité par les Français met tout particulièrement à l’épreuve le dernier carré en charge du fonctionnement des administrations et des ministères.
Le cœur n’y est plus, même si Sébastien Lecornu déploie des trésors d’imagination pour essayer de faire au moins un peu avec presque rien. À l’Éducation nationale, vient d’être nommé Édouard Geffray, parmi les plus brillants très hauts fonctionnaires de sa génération, qui connaît parfaitement la rue de Grenelle, comme une tentative ultime et intelligente de retrouver un semblant de stabilité – à défaut de continuité -, alors qu’il est le septième à être nommé à cette fonction depuis 2022. Cette bonne volonté évidente contraste avec les avertissements répétés de Laurent Baumel, haut fonctionnaire de carrière, député d’Indre-et-Loire, frondeur ontologique au Parti socialiste et proche d’Olivier Faure : la "non-censure" du PS jeudi ne vaut "en aucun cas un pacte de non-censure", selon lui.
La machine infernale suit donc son cours, d’autant que S & P Global Ratings vient à son tour de retirer à la France son double AA. L’avance prise à réviser la note du pays – action attendue dans seulement plusieurs semaines – est le résultat de "la récente série de votes de défiance au Parlement français, qui entrave les progrès en matière de consolidation des finances publiques françaises". Pour mémoire, la charge de la dette devrait représenter 54,7 milliards d’euros cette année et 59,3 milliards l’an prochain… "Jusqu’ici tout va bien… jusqu’ici tout va bien…"
laurent@fnxlb.org
(1) Les amateurs du genre ne manqueront pas "La Cavale du général Leclerc", en huit épisodes également.
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