Chroniques / Jean-Baptiste Noé
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Jean-Baptiste Noé
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Europe : le narcotique ou la massue ?
par Jean-Baptiste Noé
La publication du nouveau document pour la sécurité nationale américaine a frappé les Européens. Un coup de massue dont on peut espérer qu’il soit salutaire et qu’il permette une prise de conscience et un réveil.
Jusqu’à présent, les États-Unis utilisaient surtout les narcotiques. Alliance avec l’Europe, oui, mais aussi guerre économique, combat par les normes juridiques et éviction des marchés mondiaux, comme Naval Group en fit les frais avec les sous-marins australiens. Donald Trump a choisi la massue. Le coup est si violent, dans les mots et les expressions employés, que l’on peut se demander si les Américains considèrent toujours les Européens comme des alliés.
Sur le dossier ukrainien, ils s’entendent directement avec les Russes et ne s’embarrassent guère de demander leur avis aux Européens. Dans le document NSS 2025, ils ont acté le partage du monde avec la Chine et recentré leur politique sur les Amériques ("l’hémisphère occidental"). Rien de bien nouveau finalement, si ce n’est que la formulation est brutale et violente.
Le Mexique d’abord
La politique étrangère actuellement menée par l’administration Trump ressemble fortement à celle décrite par Samuel Huntington (1927-2008). Pas celui du Choc des civilisations (1996), qui n’est pas son seul livre, mais celui de Qui sommes-nous ? (2005), qui est son dernier. Dans celui-ci, le politologue s’interroge sur la culture et l’identité américaine, ainsi que sur les nouveaux ennemis de l’Amérique. Pour lui, le principal danger ne vient pas de la Russie ou de la Chine, mais du Mexique, par où transitent, vers les États-Unis, la drogue et les migrants ; deux flots constants qui, pour l’auteur, sont des dangers pour l’avenir des États-Unis.
Or, que fait l’administration Trump depuis janvier dernier ? Elle surveille avec grande attention la frontière mexicaine et mène des opérations militaires et de police afin de la sécuriser. Que ce soit sur terre, avec le mur, dont l’objectif est de faire baisser l’immigration illégale, où que ce soit sur mer, pour tenter de couper les routes de la drogue qui passent par les Caraïbes en provenance d’Amérique latine. Alors que, jusqu’à présent, il n’y avait que trois pays qui produisaient de la coca (Bolivie, Pérou, Colombie), ils sont désormais 9, pour une surface estimée de 400 000 hectares.
À cette drogue issue de produits végétaux, l’Amérique affronte les drogues de synthèse qui, de la Californie à la Virginie, ravagent le pays. C’est là que se joue, pour les Américains et donc pour le gouvernement, la priorité des États-Unis. Pour cette administration, l’Europe est trop compliquée à comprendre et elle cherche surtout à vivre aux crochets des États-Unis en lui faisant payer sa défense. C’est ce narcotique sécuritaire que le texte NSS 2025 vient chambouler.
Debout l’Europe
Le réveil est brutal et les Européens se retrouvent groggys. Mais n’est-ce pas aussi l’occasion pour réfléchir à une véritable politique mondiale ? Par exemple, en tendant la main au Canada, qui subit lui aussi les assauts abrupts des États-Unis. Puisque Washington veut prendre le Groenland, pourquoi ne pas proposer à Ottawa de rejoindre l’UE ?
Si les États-Unis délaissent le continent européen, les Européens, eux, peuvent s’intéresser au continent américain. La France, par exemple, qui avec la Guyane, possède sa plus longue frontière terrestre, avec le Brésil. Ou bien avec les Antilles, qui, par leur position dans les Caraïbes, se trouvent aux portes du Venezuela et de la Floride. Si les États-Unis rompent avec la doctrine Roosevelt d’alliance entre les démocraties, pourquoi ne pas rompre avec la doctrine Monroe en ne laissant plus l’Amérique latine aux seuls Yankees. En somme, transformer le coup de massue en réveil salutaire et non pas en chaos profond.
Puisque Trump n’est intéressé que par le business, les Européens pourront judicieusement lui rappeler que c’est encore avec l’UE que les États-Unis réalisent une grande partie de leurs échanges mondiaux et qu’il paraît peu probable de remplacer la France et l’Allemagne par le Brésil et le Chili. En somme que, si Européens et Américains sont indépendants, ils ont aussi besoin d’alliances mutuelles. Et que le coup de massue de NSS 2025 doit permettre de réveiller une classe endormie, pas de briser les ponts séculaires bâtis de chaque côté de l’Atlantique.
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