Chroniques / Jean-Baptiste Noé
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Jean-Baptiste Noé
Chronique
Grands Lacs : la paix et l’argent
par Jean-Baptiste Noé
La signature, à Washington, d’un accord de paix entre le Rwanda et le Congo est censée mettre un terme à un conflit ancien et violent. Mais, pour les États-Unis et les pays signataires, il s’agit aussi, et presque surtout, d’accéder aux ressources minérales.
Pas de poignée de main, à peine un regard. La signature à Washington du traité de paix entre Paul Kagamé et Félix Tshisekedi fut glaciale, à la hauteur de la haine qui sépare la République démocratique du Congo et le Rwanda. Une signature sous le sourire d’un Donald Trump triomphant, qui pourra ajouter une nouvelle guerre arrêtée à son palmarès. Après Gaza, le Cambodge et l’Ukraine, le président américain pourra se vanter d’avoir mis un terme à un autre conflit de grande ampleur.
Rien n’est moins sûr pour autant et beaucoup d’observateurs restent dubitatifs quant à la possibilité de mettre un terme à cette guerre qui ravage le Kivu et qui compte parmi les conflits les plus meurtriers des dernières décennies. Les massacres de civils et les déportations sont massifs, les mouvements paramilitaires se livrent une sans lutte sans pitié, pour contrôler les territoires et, surtout, les mines.
Tous à la mine
C’est bien aux États-Unis que l’accord est signé ; pas à Paris. Preuve, une nouvelle fois, du recul de la France en Afrique et de l’immixtion américaine. L’accord fut signé en présence de cinq chefs d’États africains, de la région des Grands Lacs et de l’Afrique de l’Ouest, ainsi que des ministres d’État du Qatar et des Émirats. Exit l’Europe, bienvenue au business : c’est là le point central de l’accord.
Donald Trump fut très transparent face à la presse : c’est bien d’opportunités économiques dont il s’agit. " Il y a une richesse immense dans cette terre magnifique ", a ainsi souligné le président américain, en référence aux mines d’or, de coltan et d’étain qui parcourent le Kivu. Des mines qui sont sous la coupe des milices paramilitaires et qui sont l’une des causes de ces drames humains, chacun voulant s’assurer du contrôle de la production et de l’exportation des minerais, afin de s’en enrichir.
C’est pourquoi l’accord comprend trois volets, un politique, sur l’arrêt des combats, et deux économiques, sur les opportunités qui s’ouvrent. Le président américain a ainsi promis d’envoyer " de grandes entreprises américaines dans les deux pays. Nous allons extraire certaines des terres rares et payer. Tout le monde va gagner beaucoup d’argent ". Et surtout les entreprises minières américaines.
Le communiqué officiel de la Maison-Blanche ne fait pas mystère de ce volet économique, qui est abondamment mis en avant : "La RDC et le Rwanda ont signé le Cadre d’intégration économique régionale (REIF), une initiative bilatérale novatrice qui libère le vaste potentiel économique de la région des Grands Lacs et crée des opportunités pour le secteur privé américain."
Donald Trump n’a pas de scrupule : la diplomatie des États-Unis doit être mise au service "des opportunités pour le secteur privé américain".
Il s’agit de devancer la Chine dans sa conquête minière de l’Afrique et de s’implanter dans une zone qui est tournée vers l’océan Indien, surtout depuis que le Kenya a conclu des partenariats avec Pékin. La RDC, traditionnellement ouverte vers l’Atlantique, du fait de la direction de son fleuve et de la situation géographique de sa capitale, est en train de basculer vers l’océan Indien, ce que viendront renforcer ces développements économiques. De quoi pénaliser l’Afrique de l’Ouest et de valoriser l’Afrique de l’Est, c’est-à-dire le monde asiatique et anglophone sur le monde européen et francophone.
La présence de deux ministres des pays du Golfe témoigne de l’intérêt que la région porte sur les Grands Lacs, territoires de drames et de guerres, mais aussi d’opportunités économiques. Les entreprises américaines d’une part, l’argent du Qatar et des Émirats d’autre part, lorgnent sur cette région dont les richesses du sous-sol sont pleines de promesses et d’intérêts, notamment pour la fabrication des objets électroniques.
Une paix possible ?
Malgré tout, la paix semble difficile. Un accord signé aux États-Unis est de peu de poids face à des milices qui ne vivent que de la guerre et qui n’ont pas intérêt de faire cesser les armes. Le Rwanda et le Congo pourraient cesser les financements et les soutiens de leurs proxys, mais la haine est si ancrée dans cette région des Grands Lacs qu’il apparaît difficile de pouvoir faire taire les armes. Pendant les négociations, les massacres ont continué. Reste désormais le plus dur : que Kagamé et Tshisekedi parviennent à imposer la paix à leur base.
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