Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
One Piece, un monde de révolte
par Jean-Baptiste Noé
Népal, Madagascar, Maroc, Indonésie : dans plusieurs pays du monde confrontés à une révolte de la jeunesse, un même symbole est utilisé : One piece. Une tête de pirate couverte d’un chapeau de paille issu de l’univers manga. Un symbole mondial qui démontre une mondialisation des codes et des références culturelles.
Jolly Roger a quitté le monde des pirates pour celui de la rue. Ce crâne blanc sur fond noir, symbole de la piraterie depuis le XVIIIe siècle, fut repris dans l’iconographie manga pour donner One Piece, un crâne souriant coiffé d’un chapeau de paille. Un symbole manga qui est aujourd’hui repris par les jeunesses du monde manifestant contre leurs gouvernements. Népal, Madagascar, Indonésie, Maroc, des cultures différentes, mais un même symbole, comme pour montrer que les problématiques de la jeunesse sont les mêmes, en Asie et en Afrique. Un symbole de piraterie pour montrer le refus de l’ordre établi et une insoumission face aux gouvernements. Ce One Piece exprime aussi la volonté de retrouver une dignité perdue, face à la corruption et aux contrôles des postes par les élites. Au Népal, cela a conduit au départ du gouvernement. Au Maroc, la tension est à son comble dans de nombreuses villes, comme dans les zones rurales.
Des hôpitaux, pas des stades
Si l’élément déclencheur des manifestations fut le décès de huit femmes dans un hôpital d’Agadir, les tensions sociales se sont cristallisées autour de la construction des stades pour accueillir la coupe du monde de football. Une partie de la population marocaine estime que ces investissements ne profitent pas au plus grand nombre et sont autant d’argent perdu alors que le pays manque encore d’équipements de base, par exemple des hôpitaux. Ce décalage entre dépenses somptuaires et investissements sociaux est flagrant dans plusieurs pays d’Afrique, comme l’Égypte, qui a beaucoup dépensé pour faire sortir de terre le nouveau musée du Caire, alors que la population qui habite dans le quartier du nouveau musée est confrontée au chômage et à la pauvreté. Des dépenses pour organiser des événements mondiaux dont ne tirent pas profit les populations locales. De quoi générer frustrations et rancœurs.
L’autre nouveauté de ces émeutes est leur aspect décentralisé et presque dématérialisé, comme l’ont pu être les gilets jaunes.
Décentralisation et autonomie
La révolte marocaine n’a pas de chef, pas de directeurs, pas de structure. Elle est décentralisée, comme sont décentralisés les supports d’information. Les manifestants s’informent sur les réseaux sociaux, notamment Discord et Tik Tok, où ils diffusent lieux de réunion et vidéos des manifestations. L’éclatement de l’offre médiatique causé par les réseaux sociaux conduit à un bouleversement dans l’offre politique, qui devient elle aussi éclatée. Le seul trait d’union est une révolte commune contre les injustices et des symboles de ralliement, comme One Piece. Leur nom : GenZ 212, référence à la génération Z née dans les années 1990-2000 et à l’indicatif téléphonique marocain, témoigne d’une conscience d’âge et d’un référentiel culturel imprégné de communication. Il n’y a pas de chef, pas d’idéologie, pas d’organisation, mais une coordination parfaitement cohérente, une capacité à se structurer, à se mobiliser.
L’absence d’organisation ne conduit pas au chaos, mais à une sorte d’ordre spontané de la révolte qui crée d’elle-même une architecture politique. La décentralisation se déploie dans la confrontation informationnelle, ce qui étend les informations à travers tout le pays, rendant beaucoup plus difficile, pour les autorités, les possibilités d’intervention.
Il est en effet impossible d’arrêter ce qui n’a pas de centre et de négocier avec ce qui n’a pas de structure. Ce qui renforce le mouvement puisqu’il ne peut pas y avoir de trahison des chefs par rapport à la masse des manifestants, les chefs n’existant pas. C’est déployer, dans l’ordre politique, la technique de chaîne de bloc et de décentralisation qui s’observe dans les cryptomonnaies. Ou, pour le dire autrement, c’est la blockchain appliquée au politique et à la vie sociale. La puissance des mouvements de contestation vient de la vitesse de diffusion de l’information et de leur capacité d’adaptation aux réponses des autorités. Ce qui fut observé dans le champ de l’information : les plateformes, les créateurs, se retrouvent dans le champ politique. Face à cela, les gouvernements sont démunis, n’ayant que la répression ou la fuite à faire valoir.
Ce phénomène va se retrouver partout, dans toutes les sociétés et les États : des foules connectées et imprévisibles, décentralisées, regroupées autour de symboles communs. Cette confrontation entre la politique qui centralise et les mouvements sociaux qui se décentralise en s’appuyant sur les nouvelles technologies ouvre de nouveaux champs de friction. Ce qui se passe en Asie et en Afrique pourrait se retrouver ailleurs, à mesure que la distance s’accroît entre le monde politique et la société civile. La grammaire de la décentralisation s’impose de plus en plus comme le nouveau levier de la puissance, pour ceux qui savent s’en servir et qui en maîtrisent les codes.
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