Chroniques / Jean-Baptiste Noé
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Jean-Baptiste Noé
Chronique
Ukraine : la société civile fait plier Zelensky
par Jean-Baptiste Noé
L’Ukraine a connu 48 heures d’effervescence sociale autour d’une loi controversée sur la réorganisation des organismes anticorruption. Preuve que la société civile est toujours active et mobilisée et que la lutte contre la corruption demeure l’un des grands défis du pays.
Alors que les observateurs ont les yeux rivés sur le front et les attaques de la Russie, c’est une autre bataille qui s’est jouée en Ukraine, à Kiev. Deux jours d’effervescence politique qui ont acculé Volodymyr Zelensky et suscité la grande inquiétude des Européens.
Indépendance de la justice
Tout débute le mardi 22 juillet quand le président ukrainien a promulgué une loi réorganisant l’organisation des structures anticorruption. Deux organismes, le NABU, un bureau d’enquête, et le SAP, un parquet traitant des affaires de corruption, étaient désormais rattachés à un procureur général, lui-même sous l’autorité du chef de l’État. Or ces deux structures furent créées en 2015, à la suite des grandes manifestations de 2014 place Maïdan. C’était une demande forte de la population ukrainienne tant la corruption est un mal endémique du pays. Zelensky s’est lui-même fait élire en 2019 sur un programme anticorruption et, depuis le déclenchement de la guerre en 2022, de nombreux haut gradés et ministres ont été inculpés et remplacés à cause de détournement de fonds.
Le prétexte de cette modification annoncée mardi dernier était le soupçon de collusion entre un juge du NABU et la Russie. Officiellement, c’est pour éviter une infiltration russe de cette structure que le président a décidé de la rattacher directement sous son autorité. Mais la population n’a pas adhéré au discours officiel. Des ministres proches de Zelensky seraient en effet sur le point d’être inculpés. Pour beaucoup, cette réorganisation vise donc à protéger l’entourage du président et peut-être le président lui-même. La société civile s’est donc immédiatement mobilisée, enclenchant de nombreuses manifestations à Kiev, cas assez unique pour un pays en guerre.
L’Union européenne a elle aussi fait part de sa vive inquiétude et demandé à Zelensky de revenir sur sa décision. C’est chose faite 48 heures plus tard puisque, le jeudi 24 juillet, le président ukrainien a annoncé renoncer à cette réorganisation. Il n’en demeure pas moins que la vigilance est grande, tant du côté de Bruxelles que du côté de la population.
Un président fragilisé
Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ces événements.
Le premier est celui de la vitalité de la société ukrainienne, qui a osé manifester pour témoigner de son opposition, en dépit des fatigues de la guerre et du danger encouru. Une vitalité impossible à trouver en Russie, où la société civile est muselée.
La deuxième conclusion est que Zelensky est fragilisé. Il donne l’impression d’avoir voulu tripatouiller le système judiciaire ukrainien et d’avoir fait usage du prétexte d’ingérence russe pour protéger des proches et passer outre l’indépendance de la justice. De quoi briser la confiance qui le rattache à sa population et aux Européens. Cet affaiblissement n’est pas une bonne chose pour lui, au moment où doivent s’ouvrir de nouvelles négociations à Istanbul.
La troisième conclusion est que Zelensky donne des arguments à la propagande russe, qui ne cesse de présenter l’Ukraine comme un pays corrompu, et Zelensky comme un profiteur de guerre, cachant l’état avancé de corruption de la Russie. C’est bien une perte de légitimité et de confiance que connaît ici le président ukrainien, du fait de ses propres agissements.
La quatrième conclusion est qu’en effet, la corruption est un sujet majeur, sur lequel les Européens devront être particulièrement vigilants, notamment quand s’ouvrira le moment de la reconstruction. Il est vital d’éviter un scénario tant de fois vu dans les pays touchés par les guerres, où l’argent international qui arrive massivement dans les projets immobiliers est détourné par quelques oligarques, qui produisent à la suite de cela des bâtiments bâclés qui peuvent même être dangereux.
Or, cet après-guerre se prépare dès maintenant, d’où la nécessité de s’assurer de l’existence de structures anticorruption indépendantes et efficaces.
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