Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Iran : entre craintes et incertitudes
par Jean-Baptiste Noé
Une semaine après le déclenchement de la guerre entre l’Iran et Israël, la région et le monde balancent entre craintes et incertitudes. Rien n’est encore écrit et le mouvement initié échappe aux acteurs eux-mêmes.
Nous assistons à "une guerre Netflix", une sorte de guerre scénarisée, avec teasing et effets d’annonce. C’est un haut responsable iranien qui annonce ainsi que, dans la nuit de mardi à mercredi, l’Iran lancera une opération "dont les siècles se souviendront". Simultanément, le régime iranien diffuse un clip qui reprend les codes de la publicité, où l’on voit une main caresser une bombe atomique avec l’inscription "Maybe" (Peut-être). De quoi angoisser les Israéliens et semer la crainte dans le monde face à cette menace d’emploi de l’arme nucléaire de façon offensive. Finalement, l’opération s’est soldée par l’usage de missiles hypersoniques qui n’ont fait que peu de dégâts.
Jeux de mots et d’annonces
Au même moment, l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis annonce que, dans la nuit de jeudi à vendredi, Israël lancera une opération d’envergure qui fera passer l’attaque des bipeurs pour une petite manœuvre. Des propos qui dessinent en creux un assassinat de l’ayatollah Khamenei et un possible renversement de régime à Téhéran. Là aussi, craintes et incertitudes face à un décompte macabre, comme dans un film d’action. Finalement, il ne s’est rien produit de tel.
La communication a toujours fait partie de la guerre, comme la propagande sur les esprits et la nécessité d’influer l’opinion. Cette guerre Iran / Israël n’y échappe pas, par les petites phrases distillées par les officiels, par les menaces voilées d’escalade et d’usage nucléaire.
Dernier élément en date, les atermoiements américains sur l’emploi des bombardiers pour attaquer la base iranienne de Fordo, coffre-fort de son programme nucléaire situé à plus de 80 mètres de profondeur dans les entrailles d’une montagne isolée. Donald Trump laisse planer le doute ; il n’est pas certain que l’administration américaine sache elle-même ce qu’elle compte faire. Pour l’instant, il s’agit d’attendre de voir comment les choses évoluent, de saisir l’opportunité pour être du bon côté, de soutenir Israël sans se détacher de l’Iran et des pays arabes.
Changer le régime ?
Un changement de régime est dans tous les esprits. Mais force est de constater que, pour l’instant, le régime des mollahs résiste depuis 1979, qu’il a affronté de nombreuses manifestations internes et déstabilisation extérieure sans être atteint. Ici, les Occidentaux risquent, une nouvelle fois, de prendre leurs désirs pour des réalités et de se laisser intoxiquer par la diaspora iranienne, dont une bonne partie n’a plus de liens réels et effectifs avec les Iraniens d’Iran. Dans ce système iranien complexe qui voit les Gardiens de la Révolution tenir une grande partie du pouvoir, et les mollahs fonder leur légitimité sur l’islam et la révolution de 1979, il sera difficile de déraciner un régime présent depuis près de 50 ans.
Un scénario possible est celui d’une révolution de palais, où les Gardiens de la Révolution prennent le pouvoir, en supprimant ou en conservant le poste occupé par Khamenei. Une façon d’expliquer que tout a changé sans que tout ait vraiment changé. Changer la tête, mais conserver la structure administrative.
On a rarement vu un régime changer par une intervention extérieure et des bombardements massifs. Le nationalisme iranien fait que même ceux qui sont opposés aux mollahs se soudent d’abord pour soutenir l’Iran contre Israël. La haine du "régime sioniste" l’emporte sur celle du régime des mollahs. Prévenus par les précédents désastreux de l’Irak en 2003 et des printemps arabes en 2011, les Occidentaux se montrent plus prudents et les Américains en premier. Dans son discours de Riyad (mai 2025), Donald Trump avait fustigé ceux qui voulaient changer les régimes politiques à coups de bombes. Il appelait à laisser les gouvernements se gérer eux-mêmes et annonçait une ère d’isolationnisme militaire pour les États-Unis. Un mois plus tard, ceux qui, à Washington, tiennent cette ligne n’ont pas changé. Mais le courant interventionniste n’a pas, lui non plus, renoncé à agir. Là aussi, l’incertitude demeure quant à la ligne que choisira Donald Trump.
Une semaine après le déclenchement de la guerre, toutes les craintes sont possibles parce que toutes les incertitudes demeurent. Le gouvernement israélien est décidé à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire à s’assurer a minima que l’Iran ne puisse pas se doter de l’arme nucléaire. Ce qui, pour lui, passe par un changement de régime. Mais personne n’a encore répondu à la question cruciale : si ce ne sont pas les mollahs, qui d’autres pour prendre le pouvoir à Téhéran. Là est la principale incertitude, avec la crainte du pire et de la dégradation.
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