Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
La déstabilisation est une arme de guerre
par Jean-Baptiste Noé
Drones russes au-dessus du territoire polonais, têtes de cochons déposées devant des mosquées : la déstabilisation est une arme de guerre redoutable, qui vise à fragiliser les sociétés par une pression psychologique constante.
Obtenir beaucoup de résultats avec peu de moyens : tel est l’objectif de la déstabilisation. Conserver suffisamment de flous et de parts d’ombre pour que de nombreuses interprétations soient possibles, renforçant la peur et justifiant les théories farfelues. Dans le cadre de la guerre cognitive, les pressions, les opérations d’enfumage, les tests psychologiques sont régulièrement employés.
Guerre cognitive
Dernier épisode en date, les drones russes survolant le territoire polonais. Moscou n’a pas communiqué, renforçant le brouillard cognitif. Est-ce une erreur, due à des réglages techniques erronés, un ballon d’essai, pour tester la réaction polonaise, une véritable intrusion, pour recueillir du renseignement et préparer une éventuelle opération d’envergure ? Toujours est-il que la crainte et la stupeur ont marqué la Pologne. Aéroports fermés, aviation en alerte, convocation d’une réunion à l’OTAN. C’est bien parce que la Russie est crainte, qu’on la sait capable d’opérations militaires, que la menace est prise au sérieux et la réaction du gouvernement polonais immédiate. Le drone opère ici une pression psychologique et un test de réaction.
Autre opération de déstabilisation, la présence des sous-marins russes le long des côtes françaises. Moyen de recueillir du renseignement, de maintenir la marine française en alerte, de marquer une présence. Aucun passage à l’acte, aucune opération menée directement, mais une pression psychologique via les sous-marins et leur intrusion dans le domaine français.
Guerre des symboles
Avec d’autres moyens, la France a été la cible de cette guerre psychologique par l’usage de symboles.
Mains rouges taguées sur le mémorial de la Shoah (mai 2024), cercueils déposés au pied de la tour Eiffel avec la mention "soldats français morts en Ukraine" (juin 2024), têtes de cochons placées devant des mosquées (septembre 2025).
Dans chaque cas, il s’agit de blesser une communauté par l’usage d’un symbole fort, de créer une tension, une stratégie de menace. À chaque fois, les moyens techniques employés sont faibles, le coût de l’opération est dérisoire. Mais l’effet est obtenu, puisque le coup fait la Une des médias, que l’événement est relaté, qu’il crée une sidération dans la classe politique et parmi la population civile. Faire parler, faire réagir est l’objectif recherché.
Pour les enquêteurs, les recherches sont complexes et ne débouchent sur rien de tangible. Des "étrangers" dans le cas des têtes de cochon, des ressortissants bulgare et allemand dans le dossier des cercueils, des Moldaves pour celui des mains. Sans qu’il soit possible de déterminer les mobiles et les commanditaires.
Les regards se tournent vers la Russie, sans que l’on puisse démontrer de façon certaine le lien direct. Cela permet à Moscou d’agir en toute impunité, et à ses soutiens de nier l’ingérence. Cette action par enchevêtrement, en "poupée russe", avait été mise en place lors de l’attentat contre Jean-Paul II (1981). Un tireur turc, commandé par les services bulgares, avec l’accord de Brejnev. Suffisamment de paravents et de proxy pour que la filière complète soit impossible à remonter. On le voit encore dans les affaires récentes : des personnes arrêtées, mais rien de tangible ni de certain. De quoi renforcer la peur et la paranoïa : ne pas connaître, ne pas pouvoir établir les liens avec certitude laisse le champ libre à toutes les interprétations, toutes les possibilités. Ce qui est encore plus déstabilisant que si l’on connaissait les choses avec certitude.
Cette déstabilisation cherche à désolidariser le corps social, à créer des peurs et des tensions pour monter les populations les unes contre les autres et pour accroître la défiance à l’égard des dirigeants. Ce qui est recherché, c’est la perte de confiance, dans les concitoyens, dans les gouvernants et, in fine, dans le système politique et social. Or la démocratie libérale ne repose que sur la confiance ; c’est ce qui permet au système politique de fonctionner et d’assurer le pacte social. Cette déstabilisation, si elle semble anodine, est en réalité un puissant moyen dissolvant. D’où son emploi par les compétiteurs de la France et de l’Europe, qui ont bien compris où attaquer pour blesser.
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