Chronique
La course aux échanges
par Jean-Baptiste Noé

Dîner de gala à Windsor entre le roi Charles III et le président Donald Trump. Derrière les amabilités et le repas d’État, dont le menu était rédigé en français comme le veut l’étiquette anglaise, les enjeux étaient aussi politiques et économiques. Tout à sa guerre économique à coups de tarifs douaniers, Donald Trump est venu au Royaume-Uni pour saluer l’alliance historique avec Londres et pour signer de gros contrats. Pour Trump, les Anglo-saxons ont dominé le XX^e siècle et ils doivent désormais dominer le XXI^e, grâce à leur avance technologique. Ce qui passe par des investissements massifs dans l’intelligence artificielle et les technologies quantiques.

Le président américain n’avait pas pris avec lui que son smoking des grands soirs pour la réception royale. Dans sa délégation l’accompagnaient les rois de la tech d’aujourd’hui : Tim Cook (Apple), Ruth Porat (Google), Sam Altman (OpenAI). Donald Trump et Keir Starmer ont signé un grand projet du futur, le Tech Prosperity Deal, qui doit non seulement renforcer l’alliance entre les deux pays, mais surtout donner un avantage concurrentiel hors norme dans la maîtrise technique afin de devancer la Chine et d’étouffer la Russie. Gagner par l’économie et la technologie le contrôle du monde afin d’éviter à avoir à sortir les armes. Le but est clairement affirmé : il s’agit de dominer l’intelligence artificielle. Dans la foulée, Microsoft et Google ont annoncé des investissements massifs au Royaume-Uni : de quoi faire miroiter des emplois, du développement industriel et le contrôle technologique.

La puissance technique

Cette puissance technique est celle des Américains, engagés dans une course sans fin pour être toujours les meilleurs. Lundi, Apple a lancé son nouveau système d’exploitation, iOS 26, destiné à dominer le monde du smartphone. Mercredi, Meta et EssilorLuxotica ont dévoilé leur nouveau modèle de Ray-Ban connectée avec écran intégré. Pour Meta, ces lunettes feront disparaître les smartphones en les rendant inutiles : tout apparaîtra sur l’écran de vision. Et à terme dans des lentilles oculaires ? Loin d’être de simples gadgets, ces annonces de produits toujours plus performants et futuristes démontrent que les entreprises américaines sont encore à la pointe de l’innovation, alors même que beaucoup annoncent la fin de l’empire américain depuis déjà plusieurs décennies. Ces échanges commerciaux et ces avancées technologiques ont un but : étouffer les concurrents américains pour les rendre incapables de tenir la course.

Dans les années 1980, Ronald Reagan avait suivi la même stratégie pour mettre au tapis l’URSS. Non pas les armes, qui peuvent déclencher un fatal conflit nucléaire. Mais la course aux étoiles, pour laisser loin derrière l’URSS, incapable de rivaliser face à la technologie américaine. Et, seconde arme ultime, nouer un accord avec l’Arabie saoudite pour faire baisser les prix du pétrole, afin d’assécher davantage encore l’économie soviétique.

Désormais, les États-Unis n’ont plus besoin d’accord avec quiconque pour influer sur les prix des hydrocarbures : premier producteur mondial de gaz et de pétrole, ils peuvent agir directement sur les cours. Il va être très intéressant de suivre les prix du brent dans les prochaines semaines pour voir si Trump va suivre la stratégie de Reagan et faire baisser les prix pour assécher une Russie dont l’essentiel des ressources repose sur la vente de gaz et de pétrole. Le commerce aura peut-être raison des armes.

Nouer des contrats

Ce commerce, la Suisse, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein le suivent amplement en signant un accord d’échanges avec le Mercosur. Loin des tergiversations des pays de l’UE, dont la France, ces pays estiment qu’il faut s’ouvrir ce marché de 300 millions d’habitants, aux économies prometteuses. Ou comment contourner les droits de douane américains en trouvant d’autres partenaires.

Au même moment, pendant que Donald Trump était à Londres, le ministre syrien des Affaires étrangères était à Washington, une première depuis 25 ans. La page des Assad est définitivement tournée. Barbe taillée court, cheveux gominés et costume impeccable, Assaad al-Chaibani veut rompre avec l’image de djihadiste borné qui colle encore à son gouvernement. Surtout, il veut faire lever les sanctions économiques qui pèsent sur son pays et rouvrir les vannes du commerce mondial, seule planche de salut pour une Syrie ruinée. Au même moment, la Syrie annonçait aussi des accords de sécurité avec Israël, à venir d’ici la fin de l’année, alors que les deux pays sont officiellement en guerre. Normalisation avec les États-Unis, donc les Occidentaux, normalisation avec Israël, la Syrie veut revenir au Proche-Orient et s’ouvrir pour survivre.

Loin des bombes, des guerres et des affrontements, ces séries d’accords commerciaux, d’investissements, de partenariats démontrent que la coopération est possible, y compris entre ennemis d’hier. Des raisons d’espérer dans des relations internationales qui en présentent souvent peu.