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éditorial / Laurent Bigorgne

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Laurent Bigorgne

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En France, rien de nouveau
par Laurent Bigorgne

Le Président de la République a déclenché une crise politique majeure en prenant la décision de dissoudre l’Assemblée nationale en juin 2024. La responsabilité de l’instabilité dangereuse qui en a découlé devient néanmoins chaque jour plus collective tant les partis politiques et leurs dirigeants semblent incapables de se hisser à la hauteur des enjeux. Nos voisins allemands, pas moins en difficulté que nous, nous montrent que la démocratie est évidemment affaire de bon sens.

12/10/2025 - 06:30 Lecture 7 mn.

Le meilleur et surtout le pire désormais…

 

La semaine écoulée nous rappelle le caractère tragique de la vie démocratique, capable du meilleur – la vie et l’œuvre de Robert Badinter – et du pire – une classe politique très largement irresponsable. Depuis la dissolution de juin 2024, les partis sont plongés dans une course effrayante vers l’abîme, au mépris du bon fonctionnement de nos institutions comme des équilibres de la vie du pays.

Pour les uns, le seul impératif, c’est la dissolution-destitution – le RN et LFI. Cette formule inédite vise évidemment une présidentielle anticipée. Intervenant après une dissolution ne dégageant pas de majorité claire – résultat hautement probable -, elle nous ferait courir le risque de perpétuer une année de plus le chaos actuel en empêchant le président nouvellement élu de dissoudre l’Assemblée et de rebattre les cartes.

Pour les autres, les figures sont purement de style : une cohabitation-agitation-abrogation – le PS, les Écologistes, les communistes - ; une "participation sans soutien" inventée par une partie de LR à l’occasion du refus de la confiance à François Bayrou le 8 septembre dernier (novation parfaitement orthogonale à l’esprit des institutions voulues par le général de Gaulle) ; un prudent "soutien sans participation" pour Édouard Philippe qui a, le mieux, dessiné une issue crédible et pertinente à la situation ; une émancipation puérile et stérile de Renaissance, dont personne n’a plus que faire.

 

Une déconnexion qui s’accentue


Ces postures sont bien déconnectées des préoccupations des Françaises et des Français comme des impératifs économiques du pays dans un contexte où chacun peut mesurer les menaces qui nous entourent. Publiée en novembre dernier, la grande enquête annuelle "Fractures françaises" (Ipsos) a mesuré des évolutions spectaculaires et inquiétantes entre 2023 et 2024, après la dissolution. En effet, 78 % des personnes interrogées estimaient alors que le système démocratique fonctionne mal, en augmentation de 9 points. 14 % déclaraient avoir confiance dans les partis politiques (-3 points) et 83 % considéraient que les hommes et les femmes politiques agissent principalement pour leurs intérêts personnels (+ 8 points).

Dans notre histoire, tout a été dit ou presque sur le malaise qui peut perturber le fonctionnement de la démocratie et même la faire chuter. C’est sans doute Winston Churchill qui a le mieux exprimé l’ambiguïté consubstantielle de ce régime : "It has been said that democracy is the worst form of Government except for all those other forms that have been tried from time to time"… Parmi toutes les expressions apocryphes prêtées à Winston Churchill, celle-ci est vraie et extraite du discours qu’il prononça à la Chambre des Communes le 11 novembre 1947. Celui que la presse avait commencé d’appeler The Old Lion s’exprima ainsi plusieurs mois après son allocution fameuse de Fulton, aux États-Unis, le 5 mars 1946, dans laquelle il fut le premier à dire publiquement qu’"un rideau de fer est descendu sur le continent européen", que les historiens retiennent parfois symboliquement comme la date du début de la Guerre froide.

 

Leçons britannique et allemande

 

Ce contexte international venait donner un relief particulier au plaidoyer démocratique de Churchill. On omet trop souvent de rappeler que le leader conservateur visait surtout les réformes voulues par son successeur, le socialiste Clement Attlee. Ce dernier entendait notamment revoir le Parliament Act de 1911 qui permettait à la Chambre des Lords, vestige de son pouvoir de véto, de s’opposer au moins pendant deux ans à un texte pour en retarder l’adoption. C’est bien sûr la démocratie tout entière que défendait Churchill, véritable conscience du monde libre, mais surtout la démocratie britannique en tant qu’elle tempérait historiquement les pouvoirs de la chambre basse.

En France, la tentative de glissement du pouvoir de l’exécutif à l’Assemblée nationale se fait dans des conditions parfaitement désordonnées. D’emblée, les 123 députés RN et leurs 15 alliés UDR voteront la censure, quoi qu’il en coûte, ainsi que les 71 LFI, soit 209 députés "censureurs"… De sorte que la gauche socialiste, écologiste et communiste, avec ses 124 députés, fera danser sur la corde le gouvernement Lecornu II, quelle que soit la bonne volonté de l’impétrant. Elle ne manquera pas, y compris avec la complicité de LR, d’aggraver les déficits liés à la réforme des retraites, de détériorer la compétitivité des entreprises et d’augmenter la pression fiscale au détriment d’une croissance déjà détériorée par la crise politique (de l’ordre de 0,3 point cette année).

Au moment où nous donnons ce spectacle de marchandage au détriment des intérêts du pays, conservateurs et sociaux-démocrates allemands viennent de tomber d’accord pour durcir les règles de l’assurance-chômage à l’encontre des personnes qui ne se présentent pas à leurs rendez-vous dans les "Jobcenters". Concrètement, l’allocation sera suspendue si un rendez-vous n’est pas honoré pour la 3efois. Si le demandeur d’emploi ne se présente pas le mois suivant, ce sont toutes les prestations, y compris les aides au logement, qui seront gelées. Et Bärbel Bas, la ministre sociale-démocrate du Travail de déclarer : "Ceux qui ne jouent pas le jeu vont avoir la vie dure […]. Nous renforçons les sanctions jusqu’à la limite de ce qui est admissible par la Constitution".

En France, c’est le contraire. Nous sommes prêts à tordre la Constitution pour pouvoir miner un peu plus l’équilibre financier notre État-providence, quitte à provoquer le pire. À méditer.

 

laurent@fnxlb.org

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