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éditorial / Laurent Bigorgne

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Laurent Bigorgne

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Sera-t-il encore possible de gouverner ?
par Laurent Bigorgne

L’abandon de la possibilité de recourir au 49-3 crée un précédent dangereux dans un pays où la forte polarisation à l’extrême gauche et à l’extrême droite va très sûrement empêcher qu’une majorité politique stable se forme dans un futur proche. Dos au mur, l’exécutif n’a plus d’autre objectif que des compromis boiteux qui pourraient bien conduire à remettre en cause la dernière réforme des retraites, à instaurer une fiscalité étouffant la croissance et à nous faire perdre le peu de crédibilité européenne et internationale qu’il nous reste. L’objectif de réduction du déficit semble inatteignable. 

05/10/2025 - 06:30 Lecture 7 mn.

Le Premier ministre a choisi de se démunir d’un des principaux instruments de la rationalisation du parlementarisme voulue par notre texte fondamental, à savoir l’article 49-3 qui lui permet d’engager la responsabilité du gouvernement sur le vote d’une loi en débat à l’Assemblée nationale. Hasard du calendrier, il y a 67 ans jour pour jour, le 4 octobre 1958, était promulguée la Constitution de la Ve République, qu’on peine de plus en plus à reconnaître.

 

Bricolage et improvisation

 

En effet, le bricolage institutionnel et l’improvisation politique, devenus notre mode normal de fonctionnement depuis 2022, ont connu une accélération foudroyante depuis la dissolution inexplicable de juin 2024. Symétriquement, l’absence de menace de dissolution en septembre 2025 et le renoncement désormais à l’utilisation du 49-3 confèrent un pouvoir sans limite au parlement. Si on était dans la troisième saison de Baron Noir, on en viendrait bientôt à s’attaquer à l’article 6 de la Constitution et à l’élection du Président de la République au suffrage universel…

Même si le Premier ministre parvient à présenter un projet de budget en Conseil des ministres "avant le premier mardi d’octobre" et à le déposer à l’Assemblée nationale au plus tard le 13 de ce mois, pour que le Parlement dispose des 70 jours prévus par la Constitution pour en débattre, rien ne préjuge de la suite. Sans le 49-3, le gouvernement perd complètement la main sur un texte qui sera à la merci des socialistes et qui devra compter sur l’abstention du RN. Sébastien Lecornu en est parfaitement conscient et son entourage sait bien que la discussion à l’Assemblée nationale sera à la fois sans fin et insupportable sur le fond.

Notre constitution rappelle ce qui est immuable et les principes essentiels sur lesquels se fonde notre communauté politique en tant que nation. Elle n’est pourtant pas figée et la plasticité de nos pratiques institutionnelles doit permettre à la société de tracer sa voie et d’évoluer. À trop vouloir la tordre dans tous les sens cependant, on porte atteinte à des équilibres en l’absence desquels gouverner devient impossible.

 

Une fois sur deux depuis 1958, le 49-3 a été déclenché par un Premier ministre socialiste

 

Le PS devrait s’en souvenir lui qui a crié au loup chaque fois qu’un gouvernement a utilisé le 49-3 depuis 2022… tout en feignant d’oublier que Michel Rocard, le Premier ministre qui l’a le plus utilisé, y eut recours 28 fois, Édith Cresson 8, Pierre Mauroy 7, Manuel Valls 6, Laurent Fabius 4, Pierre Bérégovoy 3… soit un total de 56 fois sur 116 utilisations depuis 1958.

Oublieux de la culture de gouvernement du PS, Olivier Faure s’est empressé de commenter l’engagement de Sébastien Lecornu : "C’est évidemment une revendication que nous avons posée depuis longtemps et qui correspond à une évolution de la pratique constitutionnelle", assénant que "le Parlement, et lui seul, aura le dernier mot". On croirait relire Le Coup d’État permanent, le célèbre pamphlet antigaulliste de François Mitterrand publié en mai 1964. Mais n’est pas Mitterrand qui veut…

Peut-être les socialistes pensent-ils pouvoir reconquérir bientôt le pouvoir avec une majorité au parlement, dont on voit mal néanmoins comment elle se passerait de LFI ou des éléments de ce qui restera du bloc central. Peut-être Olivier Faure a-t-il tout simplement la nostalgie de la SFIO de Guy Mollet et de la IVe République. On se permettra de lui rappeler que la IVe République vit la nomination de 24 gouvernements et de pas moins de 16 présidents du Conseil en 12 années seulement.

 

La guerre au parlement et le déshonneur

 

Durant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, Gérald Darmanin se plaisait à décrire la scoliose de la majorité présidentielle : un agenda politiquement à droite – au moins sur le plan économique -, des députés issus pour une large partie de la gauche et des électeurs déçus de la droite. Aujourd’hui, cette déformation pourrait s’inverser puisque l’agenda politique des prochaines semaines pourrait verser à gauche et les députés de la majorité se tenir à droite pour défendre ce qui pourra l’être… mais les électeurs, eux, auront disparu.

Pas sûr que la droite sache les capter. On est surpris en effet de voir des ministres LR trouver que le renoncement au 49-3 est paré de toutes les vertus : "le choix clair du dialogue", selon Yannick Neuder, ou encore "le pari de la confiance", selon Annie Genevard. Un esprit bienveillant pourrait y voir une forme de cohérence avec la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, voulue par Nicolas Sarkozy, selon laquelle hors PLF ou PLFSS, l’article 49-3 ne peut être utilisé que pour un seul texte au cours d’une même session parlementaire…

Les positions de ces ministres LR ne sont que de pure circonstance et sacrifient le long terme – la stabilité de nos institutions – pour le court terme – le maintien encore quelques semaines ou quelques mois au sein d’un gouvernement qui de l’aveu même de Sébastien Lecornu est d’ores et déjà le plus faible de toute la Ve République.

Dans les semaines qui viennent, le parlement risque bien de nous offrir le spectacle pathétique des marchandages et des revirements les plus absurdes. Au fond, nous aurons la guerre au Parlement. Et pour paraphraser la formule apocryphe de Churchill, nous subirons sans doute aussi le déshonneur de voir notre pays donner le pire de lui-même, alors que chaque semaine l’agenda international s’assombrit davantage.

 

laurent@fnxlb.org

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