éditorial / Laurent Bigorgne
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Laurent Bigorgne
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Un budget, quoi qu’il en coûte ?
par Laurent Bigorgne
Ce week-end va marquer une pause bienvenue des débats à l’Assemblée nationale. Très tactique, cette interruption va favoriser la transmission du budget au Sénat probablement sans vote global au Palais Bourbon. Les regards sont désormais tournés vers le Palais du Luxembourg, où on est d’ordinaire plus sérieux qu’à l’Assemblée, car les extrêmes n’y sont pas représentés. Pour autant, notre problème reste entier…
"L’odeur du napalm au petit matin"
Jeudi soir, Laurent Panifous, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement, a surpris une partie des députés en annonçant que, "pour tenir compte de la fatigue des uns et des autres", le gouvernement n’ouvrirait "pas samedi et dimanche les travaux à l’Assemblée nationale". Le parcours de ce centriste gagne à être connu : directeur d’Ehpad, maire de Fossat en Ariège, ancien membre du Parti socialiste, opposant résolu à la NUPES, candidat dissident aux législatives victorieux en 2022 et en 2024, président du groupe LIOT… Son parcours illustre bien un système politique qui se cherche.
Il partage sans aucun doute une forme d’habileté avec Sébastien Lecornu. Son annonce de la mise au repos de nos 577 représentants, de leurs collaborateurs et du personnel du Palais Bourbon a d’ailleurs fait bondir la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot, qui tel le lieutenant-colonel interprété par Robert Duvall dans Apocalypse Now semble "adorer l’odeur du napalm au petit matin" dans les travées de l’Assemblée. Pour mémoire, on rappellera que selon l’enquête Fractures françaises (Ipsos, octobre 2025) 64 % des Français interrogés pensent que LFI "est un danger pour la démocratie". Tour de force, Madame Panot et tous les siens y figurent 15 points au-dessus du RN (49 %).
Ce week-end, c’est donc relâche pour les députés, mais surtout pour les Français après cette longue séance de chaos politique ininterrompu. Le délai prévu à l’article 47-2 de la Constitution - "si l’Assemblée ne s’est pas prononcée en première lecture dans le délai de 40 jours après le dépôt d’un projet, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de 15 jours" - ne sera sans doute pas respecté et il n’y aura pas de vote global sur le PLF – et donc pas de vote négatif - d’ici à dimanche prochain minuit à l’Assemblée. Pas plus que les discussions sur le PLFSS n’ont pu aller à leur terme mercredi.
Les regards se tournent vers le Sénat
On comprend assez bien pourquoi Sébastien Lecornu et son gouvernement veulent envoyer en l’état la copie au Sénat. Elle semble invotable à l’Assemblée. Alors qu’à date, quelques articles à peine ont été amendés sur les 50 que compte la partie recettes, les députés ont voté au moins 40 milliards de hausses d’impôts supplémentaires. Il y a encore 2 000 amendements à examiner…
Tous les regards se tournent désormais vers la chambre haute, mal-aimée de notre histoire politique, tant la culture institutionnelle de la Révolution française fut monocamérale à ses débuts, particulièrement dans la vision qu’en avaient les Montagnards, comme celle de la Seconde république en 1848. Devenu un des piliers de la Troisième République, le Sénat fut considéré sans égards particuliers par le général de Gaulle, qui proposa même par référendum aux Français d’en faire une chambre simplement consultative (avril 1969). Malgré toutes ces réserves, c’est désormais la seule petite lumière au bout du tunnel.
Cette semaine, Bruno Retailleau a fait son retour au Palais du Luxembourg comme sénateur : nul doute qu’il cherchera à peser sur les débats. Le contexte est particulier pour le président des Républicains, car le groupe de la Droite Républicaine à l’Assemblée s’est profondément divisé mercredi lors du vote sur la suspension de la réforme des retraites jusqu’au 1er janvier 2028 : 25 députés LR ont voté contre, dont Laurent Wauquiez et Michel Barnier, 8 pour et 9 se sont abstenus.
Les ambitions présidentielles, encore et toujours
Paradoxalement, plus le jeu politique se parlementarise, plus les ambitions présidentielles s’affûtent. C’est ainsi qu’on interprète évidemment la proposition de loi que Gabriel Attal veut déposer pour un système universel de retraite (non plus à points, mais en euros) et qu’Edouard Philippe a proposé sur LinkedIn un "deal" de diminution de 50 milliards d’euros d’aides aux entreprises contre une baisse de 50 milliards des impôts de production, dont le détail est inconnu à date. Compte tenu de la gravité des mesures fiscales adoptées à l’Assemblée, qui vont rester dans le débat jusqu’à l’élection présidentielle, on s’étonne que ces deux anciens Premiers ministres soient surpris de l’accueil au mieux indifférent à leurs propositions qui concernent la campagne présidentielle de 2027… Leur déconnexion est préoccupante.
Pour le budget du pays, quelles sont les options désormais ? Le vote toujours aussi hypothétique du budget 2026 après le Sénat, la Commission mixte paritaire, le retour devant les assemblées… La route est encore longue, terriblement incertaine et rien n'indique que la date butoir du 23 décembre pour l’adoption du PLF pourra être respectée. Pourrait-on alors, comme l’an passé, voter une loi spéciale puis le PLF en début d’année grâce au 49-3 ? Cette solution est toujours récusée par le Premier ministre. Ou encore faudra-t-il envisager le passage par ordonnances du projet initial du gouvernement ?
Nous pourrions vivre une première, celle de la reconduction des plafonds d’autorisation de dépenses de 2025 et l’État devrait se débrouiller avec. Des règles fiscales figées. Une immense tension du côté de Bercy, qui devrait faire face à l’augmentation spontanée des dépenses publiques et répartir la pénurie. Personne ne veut entendre parler de cette option, qui poserait notamment le problème de la croissance de nos dépenses militaires. Certains la décrivent comme "le chaos", alors que le vrai chaos résulterait plutôt de l’adoption "quoi qu’il en coûte" du budget tel qu’il se présente… Refuser le chantage au "chaos", ce n’est pas provoquer un shut down à la française, mais adopter un régime sévère nous obligeant enfin à faire des choix. Le retour à la réalité.
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