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Laurent Bigorgne

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Le double langage de la République ?
par Laurent Bigorgne

La nouvelle ubuesque du vrai-faux limogeage du recteur de Corse relatée par Corse-Matin est passée inaperçue cette semaine. Il est pourtant rare qu’un haut fonctionnaire de ce rang soit démis de ses fonctions un mardi, puis sauvé in extremis par Matignon à la faveur de la nuit suivante, juste avant le conseil des ministres. À son arrivée sur l’Île de Beauté, Rémi Decout-Paolini est devenu Rémi-François Paolini. Son parcours est exemplaire : conseiller d’État, normalien, agrégé d’histoire, directeur adjoint du cabinet du ministre de la Justice en 2020, directeur des Affaires civiles et du Sceau en 2022. Le premier réflexe conduit à louer de tels talents de diplomate et, en bon libéral et décentralisateur, de se méfier des foucades de l’État jacobin. Qu’en est-il vraiment ?

02/11/2025 - 06:30 Lecture 7 mn.

Une politique qui n’a ni queue ni tête

 

Force est de constater que notre recteur a poussé loin l’engagement personnel en prononçant essentiellement en corse ses vœux pour 2025 sur YouTube, à l’occasion d’une visite dans une classe de CM1 récompensée pour sa contribution à la célébration du tricentenaire de la naissance de Pasquale Paoli. Vingt-sept ans après l’assassinat du préfet Claude Érignac à Ajaccio, l’absence de toute référence à la République, à la France et à l’Éducation nationale, ne passe pas.

Le "premier prof" de Corse a multiplié les prises de position en faveur du corse. Ainsi au moment des résultats du baccalauréat en juillet dernier, s’est-il félicité que 186 candidats avaient souhaité composer en langue corse pour au moins une épreuve… sur près de 2 800 candidats au bac en Corse ! En juin déjà, des parents d’élèves avaient saisi Élisabeth Borne pour dénoncer une politique risquant de "rendre obligatoire à très court terme l’enseignement bilingue français-corse".

À quel jeu joue-t-on dans une académie où l’État mobilise déjà des moyens importants au service d’un territoire dont 25 % des collèges – plus de deux fois la moyenne nationale - comptent moins de 200 élèves ? Beaucoup de territoires ruraux aimeraient être logés à la même enseigne ailleurs en France… À quoi rime la signature d’une convention pour favoriser encore la pratique du corse à l’école puisque 52 % des élèves de l’enseignement primaire y sont déjà inscrits dans des filières bilingues ? Le tout dans un contexte où l’Insee nous rappelle que 80 % des néobacheliers quittent l’île pour commencer leurs études supérieures. Une fois de plus, on dessine en Corse le tableau d’un État qui continue de promettre et de s’engager financièrement pour des politiques publiques qui n’ont ni queue ni tête.

 

Matignon a cédé

 

Si l’on en croit Corse-Matin, les capacités de caméléon du recteur et sa politique ardente en faveur de la langue corse – qui vise à "l’instituer en savoir scolaire fondamental" ! - ont naturellement fait grincer des dents au ministre de l’Éducation, Élisabeth Borne d’abord, puis Édouard Geffray, qui a courageusement souhaité mettre fin mardi dernier à ce qui ressemble de plus en plus à une aventure personnelle. Sans doute en en ayant avisé qui de droit à Matignon…

Le recteur de Corse – qui parle sûrement moins bien "le Chevènement" que le corse - n’a pas "fermé sa gueule", ni démissionné. Il a simplement fait le choix de changer de patron. Il est désormais l’obligé des élus nationalistes corses qui sont unanimement venus à son secours et qui ont voté en sa faveur une motion de soutien pour exiger qu’il reste dans ses fonctions. Le Premier Ministre a cédé. Comment devront agir désormais les autres hauts fonctionnaires sur l’île et ailleurs quand il leur faudra savoir déplaire aux élus locaux ?

Cette histoire est un peu celle du "en même temps" ou du double langage auquel nous a accoutumé le Président de la République. En 2023, il a ouvert les vannes devant l’Assemblée de Corse en prenant alors parti pour la mise en œuvre d’un "service public de l’enseignement en faveur du bilinguisme". Pas de co-officialité du corse, mais le bilinguisme. La belle affaire…

On se demande franchement à quel point tout cela est compatible avec l’article 2 de notre Constitution dont l’alinéa premier établit, depuis la révision de juin 1992, que "la langue de la République est le français". La cour administrative d’appel de Marseille a d’ailleurs condamné en novembre dernier l’Assemblée de Corse, dont le règlement intérieur prévoit que les "langues des débats de l’Assemblée sont le corse et le français". Le français après le corse, tout est dit…

 

La Constitution, à quoi bon ?

 

L’État lui-même, à travers son représentant pour l’éducation, n’est pas plus regardant pour la Constitution que ne le fut le gouvernement Bayrou pour le Conseil d’État, dont l’avis sur le projet de loi constitutionnelle a été ignoré. Son adoption doit clore dans les mois à venir - modulo bien sûr la situation au Parlement - le processus "de Beauvau", lancé en mars 2022 après l’agression mortelle subie par Yvan Colonna en détention qui provoqua huit semaines d’émeutes en Corse. Le gouvernement de François Bayrou, est passé outre l’avis de la haute juridiction administrative et a choisi de graver dans le marbre la notion de "communauté historique, linguistique, culturelle et ayant développé un lien singulier avec sa terre".

On comprend bien l’inquiétude d’élus d’un territoire dont la croissance de la population est portée par les arrivées du continent, car elle enregistre moins de naissances que de décès depuis 2013. L’indice de fécondité y est de 1,19 enfant par femme contre 1,62 en France. D’une certaine façon, la Corse nous montre précisément ce que devient l’horizon politique d’un territoire qui sans apport migratoire se dépeuplerait sévèrement. Mais la seule politique viable face à cette situation ne peut pas être le repli identitaire et le sentiment d’un grand n’importe quoi cautionné ou même voulu par l’État !

Après son alinéa premier sur le français, l’article 2 de la Constitution rappelle que "l’emblème national est le drapeau tricolore, bleu, blanc, rouge", puis que "L’hymne national est La Marseillaise" et que "la devise de la République est Liberté, Égalité, Fraternité". Faudra-t-il désormais, en Corse ou ailleurs, suspendre ces dispositions dans les écoles si Rémi-François Paolini, ou ceux qu’il ne manquera pas d’inspirer, en font la promesse à leurs interlocuteurs sur place ?

 

laurent@fnxlb.org

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