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éditorial / Laurent Bigorgne

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Laurent Bigorgne

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« Un dispositif de papier »
par Laurent Bigorgne

C’est ainsi qu’Arnaud Montebourg rend compte du dispositif de taxation à 75 % annoncé par François Hollande dans sa campagne de 2012. À bien des égards, ce « coup fiscal » ressemble à s’y méprendre au parcours de la taxe Zucman depuis la rentrée. Hyperfocalisation sur la fiscalité, rideau de fumée sur les dépenses. Chaque semaine qui passe, la discussion sur le budget 2026 obscurcit l’avenir politique et économique du pays.

09/11/2025 - 06:30 Lecture 8 mn.

It’s the complotism, stupid

 

Après plusieurs semaines d’un débat budgétaire toxique au parlement, deux constats s’imposent. Le premier est celui de la fabrication de bric et de broc à partir de recettes éculées d’un budget bien plus néfaste encore pour la croissance que ne le fut celui de 2013. Le PLF présenté par le gouvernement Ayrault en septembre 2012 eut pour conséquence un choc fiscal de 20 milliards d’euros, un peu inférieur à 1 point de PIB de l’époque. Pour mémoire, la croissance du PIB en 2011 avait été de + 2,1 %, elle fut de + 0,3 % en 2012 et de + 0,6 % en 2013… Nous en serions aujourd’hui à au moins 35 milliards d’euros de fiscalité supplémentaire, soit près de 1,2 point de PIB, très loin de la copie initiale de Sébastien Lecornu à 14 milliards et de celle de Michel Barnier à 20 milliards. Fait notable : la quasi-totalité des mesures d’économies ont disparu du PLF et du PLFSS…

Deuxième constat, les catégories de Français touchées par la pression fiscale gonflent comme les troupes de Don Rodrigue dans Le Cid : "Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort / Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port"… Au commencement, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, car la proposition initiale de Gabriel Zucman avait ceci de magique qu’elle ne devait concerner que 1 800 personnes tout en rapportant au moins 20 milliards par an… Le camp du bien exultait d’une telle trouvaille.

Tout à son autopromotion, la nouvelle figure morale de la gauche a remis au goût du jour la rhétorique complotiste d’Édouard Daladier en 1934 sur les "200 familles", reprise par le Front populaire pour justifier son échec. Sans doute eût-il mieux valu que les présidents du Conseil de l’époque s’attellent à ce qui se jouait d’essentiel pour notre souveraineté dans et hors de nos frontières…

 

La fiscalité touche évidemment la classe moyenne

 

Concrètement, la tragi-comédie de la taxe Zucman a permis d’éviter toute discussion sur les mesures d’économies indispensables et urgentes, ainsi que d’élargir en permanence le champ de la discussion fiscale, puisqu’il faut bien trouver des compensations désormais à sa non-adoption. Le tout dans un contexte où on continue de faire croire aux Français qu’aucune économie n’est possible. Gageons, par exemple, que malgré une baisse d’environ 100 000 élèves par an dans l’enseignement primaire, la discussion à venir à l’Assemblée ne permettra pas de réaliser les 4 000 suppressions nettes d’emplois prévues au budget de l’Éducation nationale…

Ce glissement vers le "tout fiscal" a contaminé aussi bien la discussion budgétaire. Exemple cette semaine avec la défense vigoureuse par Jérôme Guedj, député PS de l’Essonne, de l’"impôt sur la fortune improductive" (sic), qui va notamment toucher l’assurance-vie, les PEA et les PEL… Guedj s’est voulu rassurant pour la classe moyenne : "ils n’ont aucune inquiétude à se faire ces Français-là. Ils ne vont pas être imposés dès le premier euro de détention de l’assurance-vie".

On meurt évidemment d’envie de demander à Monsieur Guedj ce que doivent penser les Français qui vont subir une augmentation de près de 1,5 point du taux de CSG pesant sur les revenus de leur assurance-vie, de leur PEA et de leur PEL ? En effet, ce sont des dizaines de millions de personnes qui seront touchées par ces mesures : fin 2024, il y avait près de 7,2 millions de PEA ouverts en France, 9 millions de PEL et par ailleurs 41,7 % des ménages de notre pays détiennent au moins un contrat d’assurance-vie. En 15 jours, nous sommes donc passés de la taxation-punition de 1 800 personnes à celle de près de 40-45 % de la population française, peu ou prou les mêmes que les 44,7 % assujettis à l’impôt sur le revenu.

Cette technique – désigner une catégorie de Français à la vindicte populaire pour mieux toucher l’ensemble – est bien connue, comme l’a rappelé Arnaud Montebourg dans l’émission C dans l’air à propos de la fiscalité marginale à 75 % introduite dans la campagne de François Hollande en 2012 : "un dispositif de papier, conçu pour qu’il n’ait pas lieu", selon l’ancien ministre du Redressement productif, "destiné à éviter que Mélenchon ne lui passe devant". Face à la journaliste interloquée, Montebourg est tranchant : "je ne le pense pas, je le sais" … Effectivement, ce dispositif fut censuré par le Conseil constitutionnel, mais il avait servi d’ombrelle à l’ensemble du paquet fiscal du PLFR 2012 et du PLF 2013.

 

"Trop, c’est trop !"

 

Il n’y a pas qu’Arnaud Montebourg pour critiquer la folie fiscale et économique dans laquelle a sombré une grande partie de l’Assemblée nationale ces dernières semaines. L’économiste Philippe Aghion a livré un singulier témoignage lundi dernier de son audition récente par sa Commission des affaires économiques : "j’étais atterré par le niveau intellectuel et économique de certains députés, qui ne comprennent rien à l’économie, ne s’informent pas, ne lisent pas. J’ai trouvé que certains ne faisaient pas leur travail sérieusement."

Dans ce contexte, on comprend l’exaspération des dirigeants d’entreprise qui sont plus d’un demi-millier à être sortis de leur réserve habituelle pour signer un appel, "Trop, c’est trop !", lancé à l’initiative d’Erwan Le Noan : "Depuis 2024, l’instabilité politique a […] aggravé la situation. Nous avons tenu bon, souvent en silence, mais le seuil d’alerte est franchi". Ils soulignent bien que "certains textes envisagés contraindraient même des dirigeants à vendre une partie de leur entreprise pour payer l’impôt. […] peut-on imaginer abdication plus dramatique de notre souveraineté économique ?" Aucune trace de poujadisme dans ce texte – et même une réaffirmation de leur adhésion à notre modèle social ambitieux -, mais un appel à la représentation nationale à faire preuve de responsabilité.

 

laurent@fnxlb.org

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