éditorial / Laurent Bigorgne
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Laurent Bigorgne
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Les Cent Jours de Sébastien Lecornu
par Laurent Bigorgne
Le débat fiscal des dernières semaines a ceci d’ahurissant qu’il semble oublier que notre taux de prélèvement obligatoire est le plus élevé d’Europe. Alors qu’aucun effort structurel ambitieux n’a été accompli depuis 2017 pour remettre à l’équilibre nos régimes sociaux et nos comptes publics, Sébastien Lecornu peut choisir de tenir un cap fort. Sans quoi, comme en 2012, le choc fiscal annoncé touchera comme toujours l’ensemble des Français.
"La folie, c’est se comporter de la même manière et s’attendre à un résultat différent"… Cette citation prêtée à Albert Einstein et sans doute apocryphe aurait pu servir d’exergue à la note de Fitch Ratings en soutien de la dégradation de notre note comme émetteur de dettes de AA — à A +. Il n’y a rien de surprenant à cette décision et il ne faut pas attendre mieux de Moody’s le 24 octobre et de S & P le 28 novembre.
Pour l’éviter, le nouveau Premier Ministre doit convaincre, dans un improbable moment d’unité nationale, que notre déficit public peut passer en deçà de 5 % du PIB (5,8 % en 2024, 5,4 % attendus cette année). François Bayrou avait estimé que nous pouvions atteindre 4,6 % en 2026 à raison d’un programme de consolidation de 44 milliards d’euros et cette trajectoire nous conduisait à 3 % en 2029. Pour mémoire, le déficit italien est à 3,4 %, soit deux points inférieurs au nôtre.
Le tout, et la note de Fitch le souligne, en gardant en tête que notre taux de prélèvements obligatoires est de 45,6 % de PIB versus une moyenne de 40 % dans l’Union européenne. Ces quelques faits bruts rendent évidemment incompréhensibles la déclaration du président de la République en avril 2024 selon laquelle "nous n’avons pas un problème de dépenses excessives mais un problème de moindres recettes".
Le prix de dix années perdues
Emmanuel Macron, en 2014, avançait avec lucidité que notre système social devenait insoutenable soumis qu’il était à la triple difficulté de son caractère très généreux malgré une croissance durablement anémique, de son mauvais paramétrage face au vieillissement de la population et à un chômage massif et persistant que nous ne parvenions pas à faire refluer en deçà de 10 %.
Dix ans plus tard, il ne partage donc plus ce diagnostic. Est-ce à dire que ces deux quinquennats sont venus à bout de ces déséquilibres ? Il lui appartenait en effet, ainsi qu’à ses six Premiers ministres successifs, d’Edouard Philippe, qui a gouverné le plus longtemps d’entre eux, à François Bayrou, de prendre à bras-le-corps le problème de nos dépenses sociales et plus largement de la dépense publique. Rien ou presque n’a été tenté ni accompli. Et deux années de COVID sur une décennie n’excuseront pas tout.
Dans le regard des agences de notation et de nos prêteurs, le comportement de notre classe politique française est un proxy du pays. Or le Président de la République a confondu dissolution et péché d’orgueil, mettant ainsi en danger l’équilibre de nos institutions aussi facilement qu’un enfant aurait piétiné ses jouets. Son avant-dernier Premier ministre a mis en scène son départ de façon complètement égotique. Le Parti socialiste, ci-devant parti de gouvernement, vote désormais allégrement avec les extrêmes sans que personne ne proteste. La droite, quant à elle, nous explique qu’elle peut finalement choisir de voter ou pas pour un gouvernement auquel elle participe pourtant. Quant au président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, il confond sur BFM patrimoine, salaire, valorisation d’entreprise, manifestement dépassé par quelques évidences pourtant simples qu’on doit enseigner en classe de Seconde. Tout cela est pathétique.
Cent Jours, un cap
La tâche sur les épaules de Sébastien Lecornu est particulièrement lourde, de sorte qu’on ne sait pas, pour user d’une métaphore militaire, s’il faut le voir comme un des jeunes conscrits des classes de 1814-1815, les Marie-Louise, ou comme un vieux grognard dans un des derniers carrés à Waterloo… Mais si Cent Jours lui sont donnés, que ces trois mois servent à un peu de clarté et nous rendent collectivement un peu de dignité.
Tout effort demandé au pays doit d’abord et avant tout reposer sur notre capacité collective à dépenser moins ! Ce doit être notre première et notre dernière ligne de défense. Notre charge fiscale est plus lourde que partout ailleurs en Europe et notre niveau de dépenses publiques aussi. Cet effort sur nous-mêmes doit même être le plus gros de l’effort si nous voulons montrer à ceux qui nous regardent, à nos partenaires européens, à nos adversaires amusés ainsi qu’à nos enfants que nous sommes encore capables de nous reprendre.
La tentation est grande, comme à l’époque des médecins de Molière, de pratiquer une nouvelle saignée en direction des entreprises et des investisseurs. Si possible en assumant une charge symbolique et idéologique forte et violente à l’endroit des riches, des nantis, des possédants… Faisant front sur un plaidoyer identique en 2011, François Hollande avait proposé en mars 2012 d’instaurer une contribution exceptionnelle de solidarité à un taux de 75 % sur les revenus d’activité dépassant un million d’euros. Thomas Piketty, dont il s’était inspiré, se référait à des taux d’imposition de l’ordre de 80 à 90 % appliqués aux plus hauts revenus sous Roosevelt.
À la fin, c’est toujours toute la France qui paie
D’emblée inconstitutionnel – ce qui fut confirmé par les Sages de la Rue de Montpensier dès le 29 décembre 2012 -, ce "nirvana" fiscal n’était que la pointe émergée de l’iceberg, un attrape voix en somme, à la manière un peu vile de n’importe quel populiste. Peu importait vraiment sa faisabilité. Pour mémoire, le choc fiscal de 2012 et de 2013 fit pourtant passer la part des prélèvements obligatoires dans le PIB de 42,6 % en 2011, à 43,7 % en 2012 puis à 44,7 % en 2013.
Dans l’arsenal fiscal, le recours à l’impôt contre les riches s’accompagne toujours de mesures fiscales à l’encontre des ménages et des entreprises. En effet, la taxe Zucman n’est pas plus constitutionnelle que le bricolage de l’été 2012 et ne trouvera pas de concrétisation ou n’aura pas de rendement… Rideau de fumée, elle aura permis à ceux qui l’auront adoptée de ne pas se pencher sur le problème des dépenses – encouragés par tous ceux qui n’ont cessé d’expliquer que nous n’avions pas un problème de dépenses mais de recettes.
laurent@fnxlb.org
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