éditorial / Laurent Bigorgne
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Laurent Bigorgne
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Au milieu du gué…
par Laurent Bigorgne
L’urgence de la rentrée 2025 est à ce point budgétaire qu’on en oublie que nos performances en matière d’emploi sont toujours médiocres même si elles sont meilleures qu’il y a 10 ans. Il n’y a pas de constat partagé sur cette question, alors que la campagne battra son plein d’ici un an à peine dans la perspective de l’élection de 2027. Pire encore, la musique jouée – sur-fiscaliser les entreprises à gauche, privilégier le pouvoir d’achat au centre et à droite – fait fi de la réalité. Si on ne sait pas qui sera le candidat du redressement, il devra marcher sur ses deux jambes : la restauration des comptes publics et l’objectif du plein-emploi.
Un marché du travail grippé, des créations d’emplois en deçà des attentes, un taux de chômage au plus haut depuis cinq ans… Ce sont les États-Unis, pas la France, dont la presse a parlé ainsi cette semaine. Donald Trump a bien essayé de casser le thermomètre en mettant fin le 1er août dernier au mandat de la directrice du Bureau of Labor Statistics, les faits sont têtus : l’économie américaine crée depuis plusieurs mois moins d’emplois.
Un chômage toujours élevé
Vu de France, on confessera sans peine une forme d’envie gourmande devant un marché du travail dont on dit qu’il va mal avec un taux de chômage de 4,3 %, alors que le nôtre s’établit à 7,5 % et qu’il tient plutôt bien le choc malgré une croissance molle (0,7 % à confirmer). Il faut y voir l’effet des "ordonnances Pénicaud" et des trois réformes successives de l’assurance-chômage depuis 2017. Nous ne sommes d’ailleurs pas très loin du point le plus bas depuis 1982, soit 7,1 % fin 2022-début 2023, et 3 points au-dessous du pic à 10 % de mi-2015, au milieu du quinquennat de François Hollande.
On oublie un peu vite que nous conservons un décalage de 1 à 1,5 % avec nos partenaires, puisque le taux de chômage de la zone euro est de 6,2 % (6,4 % en Allemagne, 6 % en Italie). Certes nous nous consolons en contemplant la mauvaise passe allemande, mais nous oublions que nos voisins ont une formidable capacité à adapter leur système social, à la mesure des réformes Hartz dans les années 2000, et qu’ils peuvent compter sur des marges de manœuvre budgétaires que nous n’avons pas.
Le président réélu en 2022 n’est qu’au milieu du gué de sa promesse de ramener le chômage à 5 %. Un de ceux qui ont contribué avec Marc Ferracci au volet emploi du programme de 2017, Thomas Cazenave, vient de réaffirmer qu’il n’entend pas "renoncer au plein-emploi"… Volontarisme ou manière de dire qu’on s’en éloigne de l’objectif à chaque fois qu’on croit s’en rapprocher ?
Pas d’accord sur l’essentiel
Le futur débat présidentiel n’a pas encore pris forme - c’est le moins qu’on puisse dire - car il est parasité par une instabilité nouvelle et chronique – cause ou prétexte ? – assez largement incompatible avec toute forme de travail programmatique sérieux. C’est une différence importante avec la période 2015-2017, qui fut féconde en production intellectuelle et marquait certaines convergences entre les équipes Fillon et Macron, notamment sur l’emploi.
À la rentrée 2025, la question du chômage en France semble avoir disparu et il n’existe aucun consensus sur la marche à suivre… On ne sait pas bien si la nouvelle réforme de l’assurance-chômage envisagée cet été – qui fit dire à Marylise Léon (CFDT) qu’on allait vers "un carnage total" - constituait un sujet de finances publiques ou de politique de l’emploi. Sans doute les deux à la fois, compte tenu de la dette de l’Unédic de près de 60 milliards d'euros (dont 27 milliards liés à la période du Covid) et de ses perspectives financières qui se dégradent.
Pour l’heure, le Parti socialiste entend mettre principalement à contribution les entreprises au titre de son projet de contre-budget présenté à Blois samedi dernier, parce qu’ "on ne peut pas exonérer ceux qui ont bénéficié des largesses du gouvernement", selon Boris Vallaud. À droite et au centre, on est à la recherche de mesures de pouvoir d’achat, parfaitement audibles compte tenu du poids du coin fiscalo-social dans notre pays, mais que, sans gain de productivité notable, il faudra bien financer. Pour ceux qui pensent qu’à cet égard le travail a été fait, on renverra à la note de François Ecalle sur les prélèvements obligatoires sur le travail : ils représentaient toujours 22,7 % du PIB en 2023 vs 20,7 % pour la zone euro*.
Cet écart a été illustré très concrètement par Rexecode dans une étude pour le Syntec : par rapport à un panel de pays européens, les prélèvements sur le travail représentent 6 points de salaire brut en France entre 1,4 et 2,5 SMIC ; 11 points entre 2,5 et 3,4 SMIC ; ils dépassent 20 points à partir de 6 SMIC… On rappellera qu’une étude récente de l’Insee a montré qu’entre 2018 et 2020, les entreprises ont relocalisé en France des activités faiblement qualifiées et délocalisé des activités qualifiées**.
Pourtant, le travail est bien la solution
Le refus d’obstacle à l’occasion de la suppression de deux jours fériés dans le projet Bayrou est révélateur des efforts que nous ne sommes collectivement pas (encore) disposés à faire. Rappelons que c’est un social-démocrate, Gerhard Schröder, alors Chancelier fédéral, qui contribua avec les forces vives de son pays à la pratique d’une politique de modération salariale entre 1995 et 2010. Rien à voir avec les deux jours dont nous parlons…
Bertrand Martinot et Franck Morel, dans Le travail est la solution, paru avant l’été, ont largement mâché le travail à ceux qui vont bâtir des programmes à la recherche du plein-emploi et de la croissance ! Ils dessinent un plan d’ensemble : réforme continue de l’assurance chômage pour s’assurer qu’elle reste en permanence incitative au travail – le débat fait rage actuellement en Allemagne ; report de l’âge effectif de départ à la retraite et introduction d’un pilier par capitalisation (la publication de Bertrand Martinot sur ce sujet pour la Fondapol en novembre 2024 a pour la première fois fait bouger les lignes) ; libération de la question du temps de travail ; transfert des cotisations sociales vers des bases plus larges…
La question budgétaire est existentielle. Celle du travail l’est tout autant. Laisser croire que malgré un taux de chômage de 7,5 % nous aurions réglé notre problème d’emploi et qu’ainsi un peu de croissance effacerait comme par magie le problème de la dette est une impasse. Il faudra le réaffirmer avec force dès après le vote de demain à l'Assemblée nationale.
* François Ecalle, Les prélèvements obligatoires sur le travail (https://www.fipeco.fr/fiche/Les-prélèvements-sur-le-travail).
** https://www.insee.fr/fr/statistiques/8296880
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