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Une rentrée sous le signe de la gravité
par Yves de Kerdrel

Lors du conseil des ministres de rentrée, le Chef de l’État a livré un propos liminaire, retransmis à la télévision, évoquant la fin de l’abondance et celle « d’une certaine forme d’insouciance » avant d’indiquer que le monde s’apprêtait à vivre « une grande bascule ». Des propos d’autant plus graves qu’à l’étalage de ces nouvelles menaces, Emmanuel Macron n’a apporté aucune réponse. 

28/08/2022 - 06:30 Lecture 12 mn.

Si les ministres étaient bronzés, comme de coutume, à l’occasion du Conseil des Ministres de rentrée, mercredi 24 août, et si l’Élysée était éclairé par un soleil généreux, le Chef de l’État a choisi de plonger tout de suite son équipe gouvernementale dans l’ombre, dans l’obscurité, voire dans les ténèbres. Avant de céder la parole à Élisabeth Borne – avec laquelle il avait dîné la veille – il a choisi de se livrer un propos introductif de 12 minutes, exceptionnellement retransmis à la télévision.

Un propos largement réfléchi et médité, puisque l’on voit le président feuilleter les notes qu’il a prises et qui constituent l’ossature de cette déclaration. Après avoir remercié les ministres d’être restés "sur le pont" pendant tout l’été, il a expliqué que nous rentrons dans un moment marqué par la fin de l’abondance, en matière de liquidités, d’énergie, de matières premières et même d’eau. Ce qui relève du simple constat. Avant d’aggraver cette phrase en évoquant une "fin de l’insouciance" liée à la présence d’un conflit armé sur le continent européen. Puis, se tournant à plusieurs reprises vers Catherine Colonna, la Ministre des Affaires Étrangères, il a souligné que le monde connaissait "une grande bascule" et que la France devait s’y préparer. Ce qui faisait écho à sa déclaration de Bormes-les-Mimosas où il avait déclaré que nous devions être prêts à accepter de payer le prix de nos libertés.

 

Des questions sans les réponses

 

Les chaînes d’information en continu n’ont retenu que les expressions "fin de l’abondance" et "fin de l’insouciance", deux formules qui ont tourné en boucle pendant de longues heures avant que le service de presse de l’Élysée cherche à amodier les interprétations graves des journalistes en expliquant que le Chef de l’État n’avait pas voulu dire que la France vivait jusqu’ici dans "l’abondance". Ce qui aurait été, en effet mal compris, par les 10 millions de mal logés et par les 4 millions d’enfants sous-alimentés.

Il reste à savoir ce que le Président de la République a voulu provoquer par ces deux déclarations "churchilliennes" en écho "au sang, à la sueur et aux larmes" annoncés en 1940 par le locataire du 10 Downing Street. Car un dirigeant, qu’il s’agisse d’un état, d’un régiment, d’une entreprise, d’une ONG, n’annonce pas des difficultés à venir sans évoquer les solutions dont il lui revient la responsabilité de la mise en œuvre. Or par ces déclarations, nous voilà tous plongés dans une rentrée sous le signe de la gravité – mais qui donc s’attendait à autre chose compte tenu de la guerre en Ukraine, de la crise énergétique, de la crise climatique, et des risques de récession ? – sans que pour autant le Capitaine réélu en avril pour cinq ans ne fixe un cap pour éviter ces courants difficiles, cette tempête, et les rochers qui affleurent au bord de l’eau.

 

Absence de vision et d’ambition

 

Bien sûr, Emmanuel Macron va avoir l’occasion de revenir sur la situation internationale lors de la réunion annuelle de tous les ambassadeurs de France. Bien sûr, le séminaire gouvernemental et les lettres de mission envoyées d’ici-là à chaque ministre vont préciser les mesures qui devraient être prises rapidement, notamment pour faire face à la crise énergétique. Bien sûr, le Chef de l’État ne va pas manquer de consacrer une journée à nos armées dont les principaux chefs d’état-major ont tous crié au manque de moyens, cet été, lors d’auditions à huis clos devant les parlementaires.

Le problème reste pour lui son incapacité, depuis sa réélection, à dessiner un cap clair. Les Français n’ont pas d’autre sentiment que de voir le couple exécutif passer d’une crise à une autre sans avoir un dessein à plus long terme. Crise des hôpitaux, crise des services de police, crise dans l’enseignement, crise climatique… À côté de l’absence de vision, le plan anti-inflation du très pâle Joe Biden, voté cet été par le congrès américain, avec un investissement de plus de 430 milliards de dollars à la clé, a presque un aspect "rooseveltien".

 

Le patronat fait une rentrée en fanfare

 

En attendant d’en savoir plus sur la vision présidentielle, pas moins de quatorze ministres vont s’exprimer lundi et mardi lors de Rencontre des Entrepreneurs de France (nom donné à l’Université d’été du Medef) qui se déroule à Longchamp, avec toute une séquence consacrée aux "licornes". Cette année, le fil rouge de ces débats, c’est l’Europe. Avec de nombreuses personnalités européennes sans compter l’intervention par visioconférence de Volodymyr Zelensky, le Président ukrainien.

Geoffroy Roux de Bézieux devrait, en clin d’œil, faire son entrée sur l’estrade sur fond de musique évoquant une Russie guerrière. Ce qui donnera le ton très musclé d’un patronat qui n’est pas du tout dans le même état d’esprit que le Chef de l’État. Même si le dernier indice PMI composite, qui regroupe les données sur le secteur des services et celui de l'industrie manufacturière, a reculé à 49,8 en première estimation après 51,7 en juillet, l’ambiance n’est pas mauvaise au sein des différentes fédérations qui adhèrent au Medef. Y compris l’UIMM, la plus concernée par une crise énergétique qui nous pend au nez.

 

L’économie européenne et les sanctions

 

Mardi, c’est Bruno Le Maire qui interviendra et qui en dira peut-être un peu plus, dans la mesure où c’est le principal membre du gouvernement à avoir un poids politique. Il devrait évoquer les réformes de l’allocation-chômage, celle du RSA, voire des retraites et demander au patronat de l’aide pour convaincre les députés de la "droite raisonnable" de former une coalition au Parlement afin de faire passer ces textes essentiels.

Demain, Élisabeth Borne interviendra, pour sa part, sur la sobriété énergétique. Elle ne sera pas soumise au feu roulant des questions des patrons présents. Mais il aurait été intéressant de savoir ce que la Première Ministre pense de certaines usines allemandes qui ont déjà été obligées de procéder à des arrêts ponctuels à cause de problèmes d’approvisionnement énergétique. Car l’Allemagne, qui apparaît aujourd’hui comme le maillon faible de l’Europe, dirigée par un Olaf Scholz au comble de l’impopularité, moins d’un an après être devenu Chancelier, est à la fois à la pointe du combat antirusse et à la fois la première victime des sanctions qu’elle a contribué à mettre au point, au nom de la Commission Européenne. Un jour viendra où il faudra s’interroger sur l’efficacité de ces sanctions, alors que depuis le 24 février dernier – date du début de la guerre en Ukraine – les différents états de l’Union européenne ont acheté à la Russie pour 83 milliards d’euros en pétrole, gaz et charbon...

 

La fin du "quoi-qu’il-en-coûte"

 

Il est évident que nous devons soutenir l’Ukraine face à cette agression d’une violence inouïe. Il est évident que l’Europe doit faire bloc, face à une Russie qui a déclenché un conflit armé – dont l’escalade va se poursuivre – sur le sol européen. Il est évident que "nous devons payer le prix" des valeurs auxquelles nous croyons. Mais il n’est pas certain que les Français aient tous bien conscience de ce que cela veut dire si cette logique doit être poussée jusqu’au bout.

Ce ne sera pas seulement la fin de l’abondance - et donc celle du "quoi-qu’il-en-coûte" ou du "quoi-qu’il-arrive" - et donc l’abandon des boucliers tarifaires. Cela sera beaucoup plus grave même si EDF fait des prouesses pour disposer de suffisamment de réacteurs nucléaires en état de marche cet hiver et même si nos réserves de gaz sont désormais remplies à presque 100 %.

 

TotalEnergies, bouc émissaire du journal "Le Monde"

 

C’est dans ce contexte que le groupe TotalEnergies a été une nouvelle fois pointé du doigt par le quotidien Le Monde, avec un titre à la fois absurde et abject, en une de l’édition parue mercredi dernier : "le gaz de TotalEnergies alimente des bombardiers russes en Ukraine". Le groupe dirigé par Patrick Pouyanné a eu beau démontrer par A + B pourquoi et comment tout était faux dans cet article, cela n’a pas empêché le quotidien de renouveler ses affirmations, en se réfugiant derrière les déclarations d’ONG, et en s’abritant derrière le fameux "devoir de vigilance".

Il reste que c’est la cinquième "une" hostile consacrée par le quotidien du soir au principal groupe énergétique français en trois ans. Avec une volonté de jeter l’opprobre sur son action – où qu’elle se passe – et même sur son passé. Cela s’ajoute à la stupide procédure judiciaire lancée contre Patrick Pouyanné ès qualités d’administrateur de Polytechnique et à la volonté de nombreux politiques – y compris de droite de taxer les "surprofits". Dans son propos liminaire de rentrée, le Chef de l’État a invité les ministres à faire preuve de responsabilité et à ne pas dire "tout et n’importe quoi", visant notamment la polémique stérile sur les jets privés. Il est dommage que le "quatrième pouvoir" s’arroge encore le droit de clouer au pilori des grands groupes français, au nom d’une "morale" dont il estime être l’unique gardien.

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