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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Chili : nouvelle constitution, vieilles idées politiques
par Jean-Baptiste Noé

Le projet de constitution présenté le 4 juillet dernier renoue avec les mythes marxistes et les vieilles lunes des années 1970. Reste aux Chiliens à approuver ou rejeter le texte, lors d’un vote qui se tiendra le 4 septembre et qui promet une intense bagarre électorale.

23/07/2022 - 08:28 Lecture 6 mn.

Entré en fonction en mars 2022, le nouveau président et ancien syndicaliste Gabriel Boric, 36 ans, a présenté début juillet le projet de constitution soumis au peuple chilien. À la suite des violentes émeutes de 2019, la population s’était prononcée en faveur d’une nouvelle constitution, avec tout de même près de 50 % d’abstention. Il fallait ensuite l’écrire puis faire adopter le texte par un référendum. Si le texte présenté est rejeté, c’est l’actuelle constitution qui restera en vigueur.

Élu sur un programme d’extrême gauche assumée, se réclamant de Salvador Allende et des dirigeants bolivaristes du Venezuela et de Bolivie, Gabriel Boric a présenté un texte qui rompt avec 30 ans de consensus et de réconciliation politique. C’est un texte très long, 388 articles, ce qui rend son application quasiment impossible. Celui-ci réglemente tout : l’économie, l’environnement, les relations avec les populations indigènes, mais aussi la cuisine, présentée comme une cause nationale qui doit être défendue par l’État. Ce n’est pas à proprement parler une constitution, c'est-à-dire un texte qui organise le fonctionnement des institutions, mais un catalogue d’intentions politiques que certains tentent de transformer en loi fondamentale.

C’est oublier qu’en matière de droit le moins est toujours le meilleur, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’une constitution. À titre d’exemple, les lois constitutionnelles de la troisième République comprennent 34 articles et la constitution de la cinquième, 89. Là réside le premier fourvoiement politique de ce texte : changer la nature d’une constitution, qui n’a pas pour fonction de faire de l’ingénierie sociale et politique, mais d’établir le fonctionnement et l’équilibre des pouvoirs afin d’assurer le bon déroulé des passions politiques. Une constitution est un moyen, non une fin, ce que balaie le texte présenté aux Chiliens.

 

Communisme assumé

 

Ainsi est-il prévu de nationaliser les ressources minières, d’exproprier les propriétaires terriens et d’accorder à la Banque centrale la politique de l’emploi et de l’environnement. La chambre haute du Parlement serait supprimée, au profit d’un monocaméralisme qui a toujours donné de mauvaises choses en Occident. Deux Chambres sont nécessaires pour contrôler le pouvoir exécutif et assurer l’équilibre du pouvoir législatif. Le texte met également en place ce que le politologue chilien Pablo Ortuzar appelle des "rentiers ethniques". Il prévoit en effet d’accorder des privilèges aux peuples autochtones, pour l’essentiel concentrés dans le sud du pays, en les soustrayant à la loi commune pour les faire entrer dans leur propre sphère juridique. Autonomie et autogouvernement, reconnaissance de leurs coutumes comme d’une loi propre, statut spécial pour leurs langues et leurs terres.

Cela va au-delà d’une simple subsidiarité ou d’une autonomie territoriale comme cela se pratique dans les pays fédéraux. Ce n’est pas un territoire qui dispose de droits spécifiques, mais un peuple défini, ce qui soustrait de fait les Chiliens non autochtones de cette juridiction et ce qui pose le problème des indigènes métis. Cette constitution propose d’inscrire dans la loi fondamentale la reconnaissance de l’indigénisme, au risque de fracturer et de diviser un pays qui est déjà fragile.

 

L’exception chilienne menacée

 

En Amérique latine, le Chili fait figure d’exception. C’est l’un des rares pays qui est politiquement stable et qui n’a pas cédé aux sirènes du marxisme. Son économie est saine, faisant de lui l’un des pays les plus développés de la région, devant le Brésil et son voisin argentin qui n’en finit plus de connaître des crises multiples. Son évolution au cours des trente dernières années le classe désormais dans les pays développés. En 1990, son PIB par habitant le classe derrière le Brésil et le Venezuela (4 500 dollars). Il connaît une croissance continue qui lui permet de doubler le Brésil puis le pays des Caraïbes, qui s’engouffre ensuite dans le "bolivarisme du XXIsiècle" avec Hugo Chavez et Nicola Maduro. En 2021, son PIB par habitant atteint les 29 100 dollars, quand le Venezuela connaît la famine et les pénuries et que le Brésil stagne à 14 800 dollars. Celui qui était le dernier en Amérique latine est désormais devenu le premier. Ce que les jeunes générations chiliennes ont dû mal à intégrer, elles qui n’ont pas connu les difficultés des années 1970 ni les efforts réalisés pour permettre au pays d’atteindre les standards occidentaux, avec notamment un effondrement de la pauvreté.

Le texte présenté par Gabriel Boric aurait pour conséquence d’effacer ce miracle économique. Le 4 septembre, le vote sera obligatoire, alors que l’abstention à la présidentielle a atteint les 56 %. Cela annonce deux mois de campagnes très rudes et, peut-être, une contestation des résultats si le score était serré et si des fraudes étaient constatées. Le Chili n’en a pas encore terminé avec ses fractures et ses divisions. Le texte présenté est bien celui de tous les dangers.

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