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Chroniques / Bernard Spitz

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Bernard Spitz

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French Connection
par Bernard Spitz

La France termine son semestre de présidence tournante de l’Union européenne ce soir, 30 juin, à minuit et passe le relais à la République tchèque. La dernière présidence française remontait à 2008. La prochaine sera en… 2034, trois quinquennats plus loin.

30/06/2022 - 11:00 Lecture 8 mn.

 

Beaucoup pensaient que la présidence française ne serait qu’une plate-forme destinée à mettre en scène la campagne présidentielle du président-candidat. Mais rien ne se passe jamais comme prévu. En attaquant l’Ukraine, Poutine a réveillé l’Europe et renversé l’agenda initial. Il a montré aux Allemands qu’ils avaient été bien peu lucides pour veiller à la diversité de leur approvisionnement. Il a rappelé aux autres leur vulnérabilité quant à leurs circuits de fourniture en métaux rares, en gaz et en blé. Il a modifié en profondeur l’approche par l’Union des sujets énergétiques et de défense. Il nous a aussi interpellés sur notre capacité militaire.

 

Le "En même temps" Européen et national

 

Combien de divisions ? demandait Staline quand on lui parlait du Pape. Poutine posait sans doute la même question à notre sujet. L’Europe n’est pas entrée comme belligérante dans le conflit, mais elle a au moins choisi son camp et fait taire les voix dissonantes qui, il est vrai, ont été d’autant plus raisonnables qu’elles étaient proches de la zone des combats. L’OTAN, quant à elle, est sortie de son coma cérébral. Une reconfiguration géostratégique du monde est ainsi engagée. Fukuyama décelait la fin d’une histoire. Une autre histoire commence aujourd’hui…

 

Un impact humain et économique

 

Les conséquences humaines du conflit sont terribles. Directement à travers le nombre de victimes, indirectement par le lot de misères et les risques de famine qui existent. Son impact économique est également considérable, là aussi directement et indirectement : de nombreuses entreprises ont arrêté leur activité ou ont dû les céder à des oligarques locaux. Et l’augmentation des coûts de l’énergie a accéléré un cycle inflationniste déjà bien engagé, faisant du pouvoir d’achat le thème microéconomique numéro un des pays membres, en attendant que la facture du "quoi qu’il en coûte" ne déclenche des secousses macroéconomiques lourdes, s’étendant au système monétaire européen

 

Une présidence sous le signe de la souveraineté

 

Dans tout cela, il y avait largement de quoi voir la présidence française disparaître et ses sujets renvoyés à des temps meilleurs. D’autant que le dialogue avec la Russie et les débats sur les sanctions a capté l’attention et le temps disponible. C’est le contraire qui s’est produit : la France avait fait des questions de souveraineté le pivot de sa présidence. À juste titre : tous ces événements ont montré la nécessité de traduire urgemment cette priorité dans les faits. Ces six mois ont ainsi été ceux d’une présidence efficace et utile. Ceux des avancées concrètes sur le terrain de la souveraineté. Mais des avancées à l’européenne c’est-à-dire où l’importance des textes s’efface derrière le choc des images de la guerre et n’attire que peu la presse effrayée par la technicité des sujets.

 

L’Europe doit nous protéger

 

Le récit français pour les six mois (le narrative comme on dit à Bruxelles) était clair mais révolutionnaire pour la doxa bruxelloise : l’Europe doit nous protéger. La Commission von der Leyen avait certes commencé le travail en proposant des initiatives législatives autour de l’idée de souveraineté mais la France a su cristalliser les énergies en surmontant les divergences et les antagonismes. Le débat picrocholin sur "souveraineté ou autonomie stratégique" peut bien diviser le nord et le sud de l’Europe, les résultats concrets espérés par la France sont bel et bien là.

Se protéger contre le dumping environnemental ? La taxe carbone aux frontières (CBAM) dont rêvait déjà Nicolas Sarkozy en 2008 voit enfin le jour après une tumultueuse course d’obstacles législative. Techniquement complexe, progressive, et expérimentale mais actée enfin.

Se protéger contre le dumping social ? L’accord sur la directive salaire minimum obtenu par la France n’impose pas un salaire uniforme mais enclenche la marche vers une équité des salaires.

Se protéger contre la domination économique des grandes plateformes et la diffusion de contenus et produits illicites en lignes : deux textes majeurs sont bouclés : sur la DSA (Digital Single Act) et le DMA (Digital Market Act).

Se protéger contre la concurrence déloyale dans les échanges internationaux ? Le texte sur les marchés publics, créant enfin un instrument de réciprocité (IPI) est adopté après six ans de travaux. Et le texte sur le contrôle des subventions étrangères a été approuvé permettant de mettre fin à des distorsions de concurrence.

Se protéger contre les menaces internationales ? L’Europe s’est dotée d’une boussole stratégique dans le domaine de la Défense et de la Sécurité et d’une coopération renforcée des instruments de défense

Se protéger contre le dumping fiscal ? Hélas, à cause du revirement hongrois de Victor Orban, qui après avoir dit oui en mai à la taxation minimum a mis son veto en juin, la transposition du "pilier 2" (taux d'imposition minimum) de l'accord OCDE a été torpillée.

 

Une présidence efficace

 

Bref, la France a fait bien plus que d’être un honnête broker européen, qui est le slogan usuel de bien des présidences, qui, ne voulant froisser personne, décident qu’il est urgent d’attendre que les désaccords s’effacent tout seuls. Elle a proposé une vision, donné un élan, fédéré avec diplomatie mais détermination les Vingt-sept. Hommage soit rendu aux acteurs de la PFUE qui ont porté une ambition élevée. Parmi ceux-ci, outre les ministères concernés, le Secrétariat Général des Affaires Européennes, et La Représentation Permanente de la France auprès de l’Union Européenne, méconnus du grand public mais d’une qualité exceptionnelle. Tandis que le conflit occupait logiquement l’attention générale, la présidence française a donc effectué le travail.

Quand la France prend le destin de l’Europe en main, les lignes bougent. C’est nécessaire même s’il y a là peu de gestes spectaculaires capables de faire la une des journaux télévisés ou d’enthousiasmer les réseaux sociaux Souhaitons à la présidence Tchèque de poursuivre cet élan et de faire avancer l’Europe face aux périls qui la guettent.

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