WAN
menu
 
!
L'info stratégique
en temps réel
menu
recherche
recherche

Chroniques / Jean-Baptiste Noé

Chroniques
Jean-Baptiste Noé

Chronique
L'Ukraine dans l’UE, un symbole, mais peu d’avenir
par Jean-Baptiste Noé

Sans surprise, le Conseil européen a émis un avis favorable à l’entrée de l’Ukraine et de la Moldavie dans l’UE. Si le geste est éminemment symbolique et marque un soutien répété au moment où les pays sont agressés par la Russie, il est très loin d’aboutir à une entrée réelle des deux pays, celle-ci ne pouvant se faire au mieux que dans une dizaine d’années. 

25/06/2022 - 08:30 Lecture 8 mn.

On peut s’arrêter au symbole : en donnant un avis favorable à l’entrée de l’Ukraine et de la Moldavie dans l’UE, le Conseil européen a voulu réaffirmer son soutien aux deux pays et témoigner de l’aide apportée contre la Russie. En diplomatie et en relations internationales, les symboles sont importants. Mais ils ne sont pas suffisants. Au-delà du geste, que reste-t-il ? L’Ukraine était déjà aidée par l’UE, économiquement, militairement, juridiquement. De ce point de vue, cette annonce ne change rien. Le processus d’adhésion sera très long. Dix ans minimums, probablement quinze ans, possiblement jamais.

Pour intégrer l’UE, Kiev devra satisfaire à un certain nombre de conformités politique et juridique, l’obligeant à revoir le fonctionnement de sa justice, de son économie et de sa structure juridique afin de se mettre au niveau des standards européens. Compte tenu du haut degré de corruption du pays, dénoncé bien avant le conflit, ce chemin sera très long. Pas sûr non plus que Kiev ait envie de nettoyer les écuries d’Augias de ses oligarques et de mettre au propre son système judiciaire. Le scénario le plus probable est que passé le moment d’allégresse et une fois la guerre finie, le processus d’adhésion stagne et n’aboutisse jamais. Le risque pour l’UE est donc de s’arrêter au symbole et d’être impuissante pour aller au-delà.

 

Élargissement et frustrations

 

D’autant qu’il n’est pas du tout certain que l’Ukraine soit sur la même ligne idéologique que la Commission de Bruxelles. Le risque est de revivre le drame polono-hongrois. Accueillis avec liesse en 2004, les ex-pays soviétiques d’Europe de l’Est donnent désormais des sueurs froides à la mariée et engagent des procédures de divorce. Le groupe de Visegrad, qui avait été créé en 1991 pour accélérer l’adhésion de la Pologne et de la Hongrie à l’UE, est devenu le fer de lance d’une opposition à Bruxelles. L’attraction du développement économique et de la richesse matérielle a joué. Puis est venue l’incompréhension face aux visions politiques différentes.

À tel point que l’ancien président polonais Aleksander Kwasniewski, défenseur de l’entrée de son pays dans l’UE, dressait un bilan amer en mars 2017 : "Il faut que madame le Premier ministre [de Pologne] sache qu'en Occident grandit la conviction, parmi les hommes politiques, mais aussi au sein de la société, que la principale erreur commise par l'UE au cours de ces dernières années n'est ni le Brexit, ni les migrants, mais l'élargissement de 2004. Nombreux sont ceux qui considèrent que l'admission de la Pologne et d'autres pays de l'Europe de l'Est et plus tard de la Bulgarie et de la Roumanie a été une erreur colossale".

 

Colossale erreur ?

 

Si un fervent partisan de l’élargissement désigne comme "une erreur colossale" les élargissements de 2004 et de 2007, comment s’assurer que celui engagé vers l’Ukraine et la Moldavie ne le soit pas aussi ? "Colossale erreur" pourrait-on d’ailleurs ajouter au regard du camouflet infligé aux pays des Balkans qui tentent depuis plusieurs années de faire avancer leur dossier d’adhésion, pour l’instant sans succès. La réaction de l’Albanie, de la Macédoine et de la Serbie a été un mélange d’amertume et de dégoût en constatant que l’UE donne à l’Ukraine ce qu’elle leur refuse : "C'est un coup dur pour la crédibilité de l'Union européenne" a réagi Dimitar Kovacevski, Premier ministre de Macédoine du Nord, après le refus de la Bulgarie a l’entrée de son pays. Même sentiment d’incompréhension chez les Serbes et les Albanais.

 

Chypre et Transnistrie

 

L’autre sujet d’inquiétude porte sur le statut de cobelligérance qui pourrait être accolé aux pays de l’UE en cas d’entrée de l’Ukraine. L'article 42-7 du Traité de l'Union européenne (TUE) dispose qu'au cas où "un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir ". Du fait de l’agression de la Russie, cela étendrait donc le conflit à l’ensemble des pays de l’UE. Trois bémols peuvent toutefois être émis. Le premier est que compte tenu des délais d’adhésion, nul ne peut prévoir aujourd'hui ce que sera la situation de l’Ukraine dans 15 ans ni l’état du conflit.

Le second est que cet article est valable pour les conflits déclenchés après l’adhésion, non avant. À ce titre, l’UE dispose du précédent chypriote. Envahie par la Turquie en 1974, Chypre a intégré l’UE en 2004, sans que les pays membres n’entrent en guerre contre Ankara. Le conflit chypriote est gelé, les frontières ne bougent plus et il est peu probable que l’île retrouve son unité. La situation chypriote est une évolution possible de la situation ukrainienne, avec une partie du territoire (Donbass) occupé par un pays extérieur et le reste intégré dans l’UE.

 

Vers une annexion du Donbass

 

Le troisième bémol concerne la réponse surprenante de la Russie. Vladimir Poutine a en effet annoncé qu’il n’était pas opposé à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE, estimant que l’Union est une alliance économique et non pas militaire, comme peut l’être l’OTAN. C’est un revirement d’autant plus surprenant qu’en 2014 l’acmé des tensions en Ukraine avait porté sur l’adhésion du pays à une alliance économique européenne plutôt que russe. Cela avait abouti au changement de président et au conflit du Donbass. La position russe a donc changé depuis.

Le plus probable est que la Russie se concentre sur l’annexion du Donbass, laissant le reste à l’Ukraine. C’est ce que Poutine a laissé entendre en filigrane de son discours au Forum économique de Saint-Pétersbourg (17 juin). Mais par cette unanimité à annoncer l’ouverture de l’adhésion de l’Ukraine et de la Moldavie, les pays de l’UE ont pu montrer leur unité de vue et d’action sur le dossier ukrainien. Compte tenu des dissensions et des tensions internes, c’est pour eux le principal symbole à retenir, et c’est déjà beaucoup.   

Chroniques du même auteur
Chroniques
du même auteur

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Ukraine : la Russie perd l’Asie

18/06/2022 - 08:45

//

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Le Kazakhstan veut bâtir une nouvelle ère

11/06/2022 - 08:30

//
Les chroniques de la semaine
Les chroniques
de la semaine

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Ukraine : la Russie perd l’Asie

18/06/2022 - 08:45

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Le Kazakhstan veut bâtir une nouvelle ère

11/06/2022 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Jubilé de la Reine et survivance des nations

04/06/2022 - 08:30

Chronique / Yves de Kerdrel

Chronique / Pourquoi il faut lire le dernier livre de Nicolas Dufourcq

02/06/2022 - 10:00

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Ukraine : le moment difficile de la négociation

28/05/2022 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Afrique : revoir le logiciel de la France

21/05/2022 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Russie : un défilé, mais pas de victoire

14/05/2022 - 08:30