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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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L’OTAN ressuscitée
par Jean-Baptiste Noé

L’invasion de l’Ukraine a ressuscité l’OTAN en donnant une nouvelle raison d’être à l’Organisation. Le sommet de Madrid, qui entérine le processus d’adhésion de la Finlande et de la Suède, est une nouvelle étape dans le renforcement de l’alliance atlantique.

02/07/2022 - 08:30 Lecture 7 mn.

 

C’était en novembre 2019. Dans un entretien accordé à The Economist, Emmanuel Macron eut des mots rudes pour l’alliance atlantique : "Ce que l’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN." Les États-Unis donnaient l’impression de se désengager d’une alliance coûteuse et plus vraiment utile. La Turquie, membre fondateur, agressait la Grèce et la France en Méditerranée orientale, sans que l’alliance réagisse. L’idée d’une Europe de la défense continuait de cheminer, comme manière de remplacer l’OTAN et de reconnaître l’indépendance stratégique de l’Europe.

L’invasion de l’Ukraine a tout changé. Les États-Unis sont de nouveau très engagés sur le front est, les Européens ont mis au placard l’idée d’une défense commune européenne, tant les coûts et la logistique sont élevés. Dans un processus accéléré, la demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède a été reconnue lors du sommet de Madrid. Même Vladimir Poutine l’a reconnu, lors d'une conférence de presse à Achkhabad, la capitale du Turkménistan : "les États-Unis avaient besoin depuis longtemps d'avoir un ennemi extérieur autour duquel ils pourraient réunir leurs alliés. […] Nous leur avons donné cette chance, la chance de réunir tout le monde autour d'eux."

La reconstitution du bloc atlantiste permet aussi à Moscou de justifier son invasion, comme une réponse à "l’hégémonie et l’impérialisme de l’OTAN." Washington comme Moscou trouvent leur compte dans la réaffirmation du lien de subordination entre eux et leurs alliés.

 

Changements dans la continuité

 

Pour la Finlande et la Suède, les choses changent sans vraiment changer. Certes les deux pays n’étaient pas dans l’OTAN, mais leur diplomatie et leurs alliances penchaient davantage du côté atlantiste que du côté russe. Depuis plusieurs années déjà des entraînements militaires conjoints se faisaient avec les Occidentaux, dans le but de se préparer à une possible invasion d’un voisin, qui ne pouvait être que la Russie. L’adhésion n’est que la reconnaissance de jure d’une situation de facto. D’autant que ce n’est que le processus d’adhésion qui a été validé. Reste ensuite aux parlements des deux pays à la valider, adhésion qui devra aussi être acceptée par les parlements de tous les États membres. De nouveaux blocages sont à attendre, comme ce fut le cas pour la Turquie.

En bloquant l’adhésion des pays baltiques puis en se rétractant, Ankara a obtenu ce qu’elle voulait : la reconnaissance de certains mouvements kurdes et d’opposition à Erdogan comme des mouvements terroristes et l’extradition de personnes recherchées par la justice turque. Une liste de plusieurs dizaines de noms a déjà été livrée aux autorités finlandaises et suédoises. Si les deux pays ne s’exécutent pas, la Turquie pourra de nouveau bloquer l’adhésion. Rien n’est donc encore fait.

De la même façon qu’il n’avait pas marqué d’opposition au processus d’adhésion de l’Ukraine dans l’UE, Poutine n’a marqué aucune désapprobation au processus d’adhésion à l’OTAN : "Nous n'avons pas de problèmes avec la Suède et la Finlande, tels qu'on en a avec l'Ukraine […] Si la Finlande et la Suède le souhaitent, qu'elles y adhèrent. C'est leur affaire, elles peuvent adhérer où elles veulent."

Des propos conciliants pour le moins surprenants, tempérés néanmoins par une menace militaire : "en cas de déploiement de contingents militaires et d'infrastructures militaires là-bas, nous serons obligés de répondre de manière symétrique et de créer les mêmes menaces pour les territoires d'où émanent les menaces pour nous." De quoi annoncer de futurs problèmes à la frontière finlandaise ?

 

Washington paye pour les autres

 

Les Européens n’ont toujours pas répondu à la question de la raison d’être de l’OTAN : se protéger de la Russie, c'est-à-dire garder le flanc est, mais aussi veiller sur le flanc sud ? Madrid a beaucoup insisté sur l’importance du flanc sud durant le sommet qui se tenait sur son sol. L’OTAN doit contribuer à la lutte contre les trafics venus d’Afrique : drogue, traite humaine, terrorisme, etc. et veiller à la déstabilisation potentielle entre le Maroc et l’Algérie. En somme, l’OTAN serait chargée, aux yeux de Madrid, d’assurer la police du continent et d’effectuer le travail que ne font ni Frontex ni les éléments de sécurité européens. Une extension de la nature de l’OTAN que l’Espagne souhaite inscrire dans le projet stratégique en cours de rédaction qui va conditionner les directives de l’alliance pour les dix ans qui viennent.

Si tel devait être le cas, ce ne serait plus l’OTAN qui serait en "mort cérébrale", mais l’Union européenne. À quoi bon avoir une Europe de la défense et des organismes de sécurité aux frontières si leur rôle est dévolu à l’OTAN ? En renforçant l’alliance atlantique, l’Espagne vide de sa substance l’association européenne. Reste ensuite à convaincre les États-Unis, qui financent le budget de l’OTAN à hauteur de 23 %, à payer pour assurer la police du flanc sud de l’Espagne, qui ne contribue qu’à hauteur de 5 % au budget de l’alliance. On voit mal Madrid payer le Texas pour assurer la protection de la frontière avec le Mexique.

Pas certain donc que les contribuables américains acceptent de financer la sécurité des Européens. Si Donald Trump avait exprimé ses désaccords de façon brutale, l’idée est partagée par tous les présidents américains : les Européens doivent davantage contribuer au budget de l’OTAN. Et si finalement l’alliance capotait pour des questions de sous et par un refus des États-Unis de continuer à payer pour la sécurité de ses alliés ? Trump le disait haut et fort ; Biden n’en pense pas moins.

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