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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Temps perdu
par Yves de Kerdrel

Un an après la stupide dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron, le bilan est catastrophique. Les extrêmes ont fait monter la température politique. Si un budget a pu être voté, aucune trajectoire crédible des comptes publics n’est en vue. Et le prochain cycle budgétaire s’annonce encore plus complexe. À moins que le gouvernement décrète une année blanche sur toutes les dépenses publiques et notamment les retraites et les allocations.

08/06/2025 - 06:30 Lecture 9 mn.

"Le temps perdu ne se rattrape jamais" disait Jules Renard avant même que Marcel Proust écrive "À la recherche du temps perdu". Que de temps perdu en effet pour la France au cours des douze derniers mois qui ont vu le pays plonger dans une crise politique majeure avec une assemblée sans majorité et un premier ministre congédié par les députés pour la première fois depuis plus de soixante ans ! Que de temps perdu pour un pays pourtant confronté à des choix importants. Notamment en matière de finances publiques, de transition digitale et écologique, de renforcement de l’outil de défense ou de choix géostratégiques majeurs.

Lorsque la Belgique a été privée de gouvernement, à plusieurs reprises, pendant de longs mois, certains plaisantaient en affirmant que jamais le Royaume ne s’était porté aussi bien qu’à ces moments-là. Il serait faux d’affirmer la même chose pour ce pays profondément jacobin et centralisé qu’est la France. Surtout compte tenu de l’ampleur de son déficit public (140 milliards d’euros), de l’importance de sa dette (qui dépassera bientôt les 3 400 milliards d’euros), du déséquilibre grandissant des comptes de la sécurité sociale, et surtout d’un PIB par habitant qui ne cesse de décrocher par rapport à celui de nos pairs européens.

 

La dissolution a effacé tout le reste

 

Emmanuel Macron continue à relativiser cette décision stupide qu’il a prise, il y a un an, au soir des élections européennes, par pur orgueil, par conviction qu’il pourrait maîtriser les évènements, voire par narcissisme comme le déplore encore Alain Minc. Il fait mine de dire "même pas mal" en évoquant sa propre situation de président replié sur les affaires internationales et militaires. Il a même tenté il y a un mois un retour dans le quotidien des Français par le biais d’une émission de télévision trop professorale, trop longue et trop déconnectée de la réalité.

Le pire, avec cette dissolution ratée, c’est que les livres d’histoire ne retiendront que cela des deux quinquennats de ce jeune président de la République. Oubliée la politique de l’offre qui a permis de créer plus de deux millions d’emplois. Envolée l’attractivité du territoire qui avait même permis, à un moment, de voir réapparaître des usines sur le sol français. Gommée la baisse de la fiscalité réservée aux créateurs de richesses, aux investisseurs et aux champions de la start-up nation.

 

Le serpent de mer de la faillite

 

On raconte que Napoléon III, dont l’épouse était espagnole, avait tenu à ce que celle-ci connaisse les bases de l’histoire de France. Il avait donc demandé à un historien renommé - peut-être Victor Duruy ? - de venir faire le récit de la nation à l’ex-Eugénie de Montijo, une fois par semaine aux Tuileries. Mais, très vite, la première dame montra sa lassitude face aux conquêtes de Charlemagne ou au récit de la bataille de Bouvines. Elle demanda donc au fameux historien s’il n’était pas possible de résumer toute l’histoire de France en cinq minutes seulement… Ce dernier fût d’abord interloqué avant de se raviser et de proposer à l’impératrice de le faire en une seule phrase. "Majesté : en fait, ça s’est toujours mal terminé". Ce qui lui permit de prendre congé.

Un ancien locataire de Bercy, vu il y a quelques jours, évoquait, lui aussi un scénario catastrophe en raison de l’incapacité du gouvernement à mettre en place une trajectoire de redressement des finances publiques. De son côté, Gaspard Koenig, qui fût la plume de Christine Lagarde, s’apprête à publier de nouveau un roman fiction écrit en 2013 avec comme titre "La Nuit de la Faillite".

Selon lui le moment de la faillite se rapproche. Avant d’ajouter que : "la dernière grande faillite de l’État français eut lieu en 1796. Le ministre des finances, Dominique Ramel, eut cette belle phrase : "J’efface les conséquences des erreurs du passé pour donner à la nation un avenir". Est-ce un hasard si quelques années plus tard Portalis put remettre à plat le droit et créer les grands codes napoléoniens ?"

 

Mansuétude bruxelloise

 

Ces scénarios catastrophes peuvent sembler bien excessifs au moment où Bruxelles vient de faire preuve de mansuétude à l’égard de nos finances publiques à l’occasion de ce que l’on appelle son "paquet de printemps". Le commissaire européen à l’Économie, Valdis Dombrovskis, a déclaré que "les procédures visant l’Italie, la Slovaquie, la Hongrie, la Pologne, la France et Malte peuvent être suspendues. Cela étant dit, la France doit se préparer à adopter de nouvelles mesures en cas de légères déviations". La France a été placée en procédure de déficit excessif par la Commission européenne le 26 juillet dernier 2024.

Dans les faits, l’Hexagone reste bel et bien sous le coup de cette procédure. La mise en suspens signifie simplement que le pays tient la trajectoire budgétaire sur laquelle il s’est engagé auprès de Bruxelles "pour l’instant", selon les experts bruxellois. La procédure pour déficit excessif n’est donc pas suspendue. De même il ne s’agit pas d’une bouffée d’air frais pour le gouvernement au moment où celui-ci est engagé dans la préparation du budget pour 2026.

 

Le scénario d’une année blanche

 

Le principal enjeu de ce budget est de parvenir à "un effort de 40 milliards d’euros" afin de tenir l’objectif d’un déficit ramené à 4,6 % du PIB. Le gouvernement reste volontairement flou sur ses intentions. Parmi les mesures régulièrement posées sur la table figure "l’année blanche". Le principe est simple : freiner la croissance de la dépense publique, en maintenant les dépenses de l’année à venir au niveau de celle en cours, de façon totale ou partielle. Cela concerne potentiellement le budget des ministères, donc des politiques publiques, des prestations sociales ou encore des dotations versées aux collectivités.

Interrogée à ce sujet, la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin considère que "tout est sur la table". Dans sa version maximale, un gel de l’ensemble de la dépense publique (1 670 milliards d’euros en 2024 selon l’Insee) pourrait représenter environ 27 milliards d’euros, si le gouvernement et le parlement décidaient de ne pas appliquer une hausse naturelle liée à l’inflation, estimée à 1,6 % par la Banque de France cette année. François Ecalle, part de l'hypothèse d’une sous-indexation générale à 1 %, ce qui aboutirait à 17 milliards d’euros d’économies. Mais certaines dépenses ne peuvent pas rester au niveau de 2024, comme la contribution française versée à l’Union européenne ou encore la charge de la dette.

Le seul gel des prestations sociales aurait un rendement estimé entre 12 et 15 milliards d’euros. Mais la solution est risquée politiquement. Un gel partiel des pensions de retraite, tel qu’envisagé par le gouvernement de Michel Barnier cet automne, avait contribué à déclencher la censure. Selon un sondage publié il y a quelques jours par Les Échos, la piste d’une année blanche divise les Français. Une moitié y est favorable, l’autre opposée. D’après cette même enquête 78 % des Français pensent que le premier ministre ne parviendra pas à faire voter le prochain budget. Mais personne ne souhaite pour autant une nouvelle dissolution.

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