Chroniques / Jean-Baptiste Noé
Chroniques
Jean-Baptiste Noé
Chronique
Tous les chemins mènent à Rome
par Jean-Baptiste Noé
Les funérailles du pape François sont un événement mondial auquel assistent de nombreux chefs d’État. Dans le décor baroque de la colonnade du Bernin, c’est une agora internationale qui se rencontre, illustrant la centralité de Rome et l’importance de la diplomatie vaticane.
Encore une fois, tous les chemins mènent à Rome. Plus de 50 chefs d’État, une dizaine de souverains, de nombreux diplomates et ministres sont présents aux obsèques du pape François, y compris des représentants de pays non catholiques. Insérées dans le décor baroque de la colonnade du Bernin, sur les bords du Tibre, les funérailles du pape sont un événement international et un moment diplomatique. Donald Trump sera assis non loin de Volodymyr Zelensky, la Russie sera représentée par sa ministre de la Culture et de nombreuses délégations de pays musulmans assistent aux obsèques, preuve de l’influence mondiale de François et de la diplomatie vaticane.
Diplomatie de l’influence
C’est une leçon de diplomatie qui est délivrée par ces obsèques. Le Vatican n’a ni puissance militaire ni puissance financière ; il est pourtant l’un des pays qui disposent du plus grand nombre de relations diplomatiques. C’est lui qui, en 1701, a créé la première école de formation des diplomates, dont le programme scolaire a été réformé il y a quelques jours à peine. Par son réseau de nonciature, par son système de renseignement, qui s’appuie sur les présences catholiques dans tous les pays, par les liens qu’il a établis avec des pays parfois compliqués, le Saint-Siège s’est placé au centre des relations internationales.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les espions du pape se retrouvaient dans les grottes de la basilique Saint-Pierre, au milieu des fouilles archéologiques, pour échanger les informations et les ordres, notamment sur les complots visant à destituer Hitler. C’était le seul endroit de Rome où l’on pouvait être certain qu’il n’y avait pas d’espion de la police fasciste et de la SS.
Dans les années 1980, Jean-Paul II joua un rôle crucial dans la destruction du communisme et de l’URSS. Encore aujourd’hui, le Saint-Siège a des yeux dans de nombreux pays en guerre, comme la Syrie, le Soudan du Sud, le Congo, et donc des informations cruciales sur les situations locales et les rapports de force.
La beauté des lieux, la liturgie intemporelle et décalée par rapport à l’époque moderne contribuent aussi à sa puissance. Le déroulement du conclave, avec son lieu emblématique - la chapelle Sixtine - son système d’information - la fumée blanche - son décorum et son rituel, crée une ambiance et un environnement qui contribuent à la fascination mondiale et donc à l’influence. La diplomatie vit de décors, de symboles et de représentations, autant d’éléments essentiels à sa puissance et à son efficacité. C’est ce qui a toujours fait la force de l’Église catholique, qui a compris dès ses origines que le combat politique passait aussi par l’art et la culture.
Cette fascination, cette inscription dans les siècles et dans une histoire qui dépasse le temps politique et le temps des gouvernements contribuent à sa force et à son influence. Parmi les États représentés samedi, bien peu ont une histoire de 2000 ans comme l’Église catholique.
L’absence chinoise
On peut dresser la liste des présents, on peut aussi dresser celle des absents.
Vladimir Poutine, bien sûr. En 2005, il avait assisté aux funérailles de Jean-Paul II ; c’était alors la première fois qu’un dirigeant russe était présent à un tel événement. En 2023, pour les funérailles de Benoît XVI, la Russie était représentée par le métropolite Antoine de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Il y avait assisté au nom de l’Église orthodoxe russe. Cette fois-ci, c’est seulement un ministre qui sera présent, Poutine étant sous le coup d’une arrestation de la CPI, et l’Italie ayant annoncé être disposée à l’arrêter s’il venait à Rome. Même pour des obsèques, la politique internationale continue.
L’autre grand absent est Xi Jinping en particulier et la Chine en général. Alors que quasiment tous les pays d’Asie ont publié un message de condoléances au moment du décès du pape, il n’y a rien eu de tel de la part du gouvernement chinois. Le président indien, Modi, a publié un message très laudatif, alors même que les catholiques ne sont qu’une minorité en Inde. Mais rien pour la Chine, alors que François a tout fait, durant son pontificat, pour renforcer et ouvrir les relations entre le Vatican et Pékin. Xi Jinping s’est toujours refusé à toute visite auprès du pape, même quand il venait à Rome. Il n’y a aucune relation diplomatique entre Pékin et le Saint-Siège, la Chine demandant que celui-ci, d’abord, rompe ses relations avec Taïwan, ce qu’il se refuse à faire.
Le dossier chinois demeure le plus grand échec de la diplomatie de François, qui a tout essayé pour pouvoir réaliser un voyage en Chine, qui a envoyé à plusieurs reprises des messages de sympathie, et qui est allé jusqu’à conclure un accord que beaucoup jugent déséquilibré en faveur de la Chine. Le silence des autorités chinoises à la mort de François démontre l’indifférence de la Chine à l’égard de celui-ci, et le mépris qu’il destine à l’Église. Le dossier des relations avec la Chine sera l’un des dossiers compliqués du prochain pape. Ce n’est pas une priorité diplomatique, mais cela demeure un dossier important.
Quel que soit le cardinal élu lors du conclave, il héritera d’un appareil diplomatique fonctionnel, qui s’appuie sur sa tradition d’influence et sur sa capacité à rassembler les dirigeants et les chefs d’État sur la colline du Vatican.
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