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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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À l’est du Congo, des massacres oubliés
par Jean-Baptiste Noé

Pas une semaine sans que des massacres de civils se déroulent dans l’est du Congo. Conséquences d’une rivalité ancienne avec le Rwanda, ces meurtres ensanglantent la région et maintiennent un état de terreur dans une guerre oubliée.

29/04/2023 - 08:30 Lecture 5 mn.

L’actualité est tout autant macabre que récurrente : 300 civils tués fin novembre dans le nord Kivu, 150 morts en Iturie depuis début avril, pour un bilan qui atteint les 450 morts depuis décembre selon l’ONU, 60 morts en début de semaine au Kivu toujours. La liste est longue et impressionne depuis trente ans que des bandes rivales s’affrontent pour des motifs tant politiques qu’économiques. Depuis le début des massacres en 1994, le bilan atteint les 10 millions de morts, en plus du génocide qui a sévi au Rwanda. Des massacres qui s’inscrivent tant dans la politique du Congo que dans celle du Rwanda.

 

Entre Congo et Rwanda

 

Immense territoire géographique, aux ressources nombreuses, le Congo a été protégé par les États-Unis durant la guerre froide pour éviter qu’ils ne basculent dans le camp soviétique. Ce qui permit au maréchal Mobutu de conserver un pouvoir fort sur l’ensemble du pays. Tout change avec la chute de l’URSS et la disparition de la menace soviétique d’une part et avec la prise du pouvoir des Tutsis au Rwanda d’autre part. Bien que beaucoup plus petit et moins peuplé que le Congo, le Rwanda cherche à prendre le contrôle de son voisin en plaçant des hommes liges aux postes clefs. Deux raisons majeures à cela : le Kivu est peuplé de Tutsis et il concentre de nombreuses ressources minières qui excitent les convoitises.

C’est du Rwanda que Laurent-Désiré Kabila partit à la conquête du pouvoir congolais, renversant Mobutu en 1997. Sa prise de pouvoir signe également l’entrisme du Rwanda au Congo puisque plusieurs Rwandais sont nommés à des postes clefs, tel James Kabarebe, un Tutsi rwandais, qui devint chef d’état-major de l’armée congolaise, et plusieurs autres Tutsis nommés à des postes importants dans le gouvernement du nouveau président. Kabila cherche ensuite à se séparer de ses soutiens, mais il est assassiné en 2001. Il fut remplacé par son fils présumé, Joseph Kabila, issu d’une famille du Sud-Kivu.

Cette région périphérique par rapport à Kinshasa est ainsi devenue la région clef de l’histoire contemporaine du Congo. Joseph Kabila fut lui-même formé dans l’armée rwandaise d’où il conserva des liens avec Paul Kagamé. Quittant le pouvoir en 2019, Kabila fut remplacé par Félix Tshisekedi, fils d’un ancien Premier ministre du Congo, issu du peuple Luba originaire du Kantanga (sud-est du Congo). Un changement politique qui était aussi un changement stratégique avec un recul de l’influence du Rwanda dans la structure politique du Congo et une moindre prédominance de l’importance du Kivu.

 

Une guerre sans fin

 

Ce qui n’empêcha pas les massacres de se poursuivre. Le groupe du M23 y mène depuis 2012 de féroces opérations militaires contre les civils, alliant massacres, viols et déportations. Une politique de terreur qui paraît sans fin en dépit de tentatives de médiation. Des crimes régulièrement dénoncés par l’ONU et des associations humanitaires présentes sur place, sans que cela ne vienne arrêter la spirale de violence. L’armée officielle congolaise se révèle incapable de rétablir la paix civile dans une région qu’elle ne contrôle pas et où elle dispose de peu de leviers.

Si à ses débuts le gouvernement de Félix Tshisekedi chercha à faire la paix avec le Rwanda, cette politique n’aboutit pas. Face à une présence de plus en plus forte dans l’est du pays, il a récemment décidé de changer de stratégie en mettant en cause le Rwanda dans l’invasion de 1996. Une position qui a sa logique, mais qui ne permet pas de régler la guerre en cours.

Si ce conflit a une dimension locale, il concerne aussi tous les pays africains, l’Union africaine n’ayant pas réussi à imposer une médiation et à avancer sur un chemin de paix. Le bruit des armes continue d’opérer, dans un silence quasi général et sans qu’une solution ne semble possible.

C’est qu’au Kivu se superposent aussi des intérêts miniers stratégiques. Si le Congo est traditionnellement tourné vers l’Atlantique, notamment du fait du positionnement géographique de sa capitale et de la direction de son fleuve central, dont une grande partie n’est pas navigable, le Kivu et le Rwanda se rattachent de plus en plus à la façade africaine de l’océan Indien. Les ports de Mombasa (Kenya) et Dar es Salaam (Tanzanie) sont les connexions vers l’océan Indien et donc vers l’Asie. Des ports de mieux en mieux raccordés au Rwanda et aux Grands Lacs. Une région où les présences chinoises, turques et indiennes sont de plus en plus prégnantes. Si beaucoup de regards se tournent vers Wagner et la Russie, les plus médiatiques ne sont pas nécessairement les plus efficaces. Les affrontements au Kivu s’inscrivent aussi dans cette logique mondiale et cette réorganisation de l’Afrique vers l’océan Indien.

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