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La main du pouvoir tremble sur les retraites
par Yves de Kerdrel

Reportée d’un mois, l’annonce de la réforme des retraites sera faite mardi soir par Élisabeth Borne, après une semaine de discussions intenses menées tant avec les partenaires sociaux qu’avec les ténors de la droite de gouvernement. Mais faute de n’avoir pu rallier la CFDT aux impératifs des mesures d’âge et à cause d’une communication axée seulement sur l’équilibre financier du système, le gouvernement part, dans cette bataille, avec la main qui tremble.

08/01/2023 - 06:30 Lecture 12 mn.

 

Prévue initialement pour la mi-décembre – trois ans jour pour jour après l’annonce catastrophique de la première tentative de réforme des retraites menée par Édouard Philippe – c’est finalement ce mardi 10 janvier dans la soirée qu’Élisabeth Borne devrait dévoiler les contours précis de la nouvelle réforme. A priori sous la forme d’une conférence de presse ou d’une simple intervention.

La Première ministre a consacré toute cette semaine – durant laquelle les députés ne siégeaient pas – à pousser jusqu’au bout les discussions avec l’ensemble des partenaires sociaux, mais aussi avec Bruno Retailleau, patron des sénateurs LR, Olivier Marleix, patron des députés LR, Éric Ciotti, nouveau président du parti de droite, mais aussi les représentants de l’UDI et du petit groupe LIOT dont les voix sont nécessaires afin d’éviter l’utilisation du 49-3.

 

Le blocage de Laurent Berger

 

Curieusement, juste avant de recevoir le premier de ses interlocuteurs – et le plus incontournable en la personne de Laurent Berger, patron de la CFDT – la locataire de Matignon était intervenue pendant une heure sur France Info. Une heure pendant laquelle elle a donné le sentiment de lâcher du lest avant même de négocier les derniers arbitrages. D’une part en annonçant le retrait temporaire du décret sur la contracyclicité liée à la réforme de l’assurance-chômage qui avait été rédigé en catimini et qui avait chagriné les syndicats modernistes. D’autre part en expliquant que l’âge légal de 65 ans n’était pas "un totem".

Le problème, c’est que quelle que soit la solution retenue – relèvement de l’âge légal à 65 ans ou bien à 64 ans avec accélération des mesures Touraine sur le relèvement du nombre de trimestres – Laurent Berger refuse de souscrire à ces paramètres de base. Le "misunderstanding" essentiel avec le plus réformateur des syndicats tient au postulat selon lequel l’équilibre du système par répartition est en danger. Ce sur quoi insiste beaucoup Geoffroy Roux de Bézieux, en tant que Président du Medef. Mais les chiffres varient tellement entre les prévisions – toujours très aléatoires – du COR et les celles du Comité de suivi des retraites, que le gouvernement n’a pas pu obtenir de diagnostic partagé sur l’état de notre système de pension.

 

Le faux sujet des carrières longues

 

De leur côté, les syndicats, aidés par les Insoumis qui trustent les plateaux de télévision des chaînes d’information en continu, balayent les arguments portant sur l’équilibre financier, expliquent qu’il suffit de taxer davantage les entreprises, et font vibrer la corde émotionnelle des Français en pointant du doigt le sujet des carrières longues, donc des Français qui ont commencé à travailler à 16 ou 17 ans. Il n’y a évidemment pas mieux pour faire pleurer dans les chaumières et déstabiliser les tenants du "cercle de la raison" dans un débat à la télévision ou à la radio.

C’est évidemment un argument de très mauvaise foi. D’abord parce qu’Olivier Dussopt, le Ministre du Travail, a bien évidemment prévu des mesures d'accompagnement (avec un départ anticipé de deux ans pour ceux qui ont validé cinq trimestres avant l'âge de 20 ans, et de quatre ans pour ceux qui en ont accumulé dix). Ensuite, parce que selon nos informations le nombre de salariés du secteur privé concerné par ces situations de carrières longues (hors secteur agricole) s’élèverait à 300 par an… Ce qui autorise une gestion au cas par cas.

 

Cafouillage sur la communication gouvernementale

 

Si dans un conflit armé, l’aviation est envoyée en premier de manière à préparer le terrain pour les chars et l’infanterie, dans une réforme de ce type, toute la préparation doit être mise sur la communication et l’argumentation. Or là-dessus, le gouvernement a eu deux discours différents au lieu d’un seul en mettant en avant le nécessaire équilibre du système de répartition face aux bousculements démographiques. Mais en insistant aussi – à juste titre, comme l’a fait le Chef de l’État dans ses vœux aux Français – sur le fait que les Français ne travaillent pas suffisamment.

Naturellement il s’est trouvé des mauvais esprits en pagaille pour expliquer – chiffres à l’appui – qu’un Français travaille plus qu’un Allemand ou un Américain. Ce qui est peut-être vrai. Mais ce qui compte, pour faire remonter notre PIB par habitant, c’est le nombre d’heures travaillées dans le pays par an. Et par ailleurs le nombre d’heures travaillées dans une vie. Or ces deux paramètres n’ont fait que diminuer au cours des dernières années, du fait de l’allongement des études, d’un taux d’emploi bien inférieur à celui de nos principaux compétiteurs, de la mise en place des 35 heures et de l’absence de mesure forte sur les retraites. Voilà pourquoi, comme Emmanuel Macron l’a très bien expliqué dans ses vœux la réforme des retraites est le pendant indispensable de la réforme de l’assurance-chômage.

 

La France entre dans une période sociale tendue

 

Dès mardi soir, l’intersyndicale va donc se réunir pour préparer des mesures de riposte et une mobilisation des salariés. Comme d’habitude, c’est le secteur public qui va être le premier à défiler dans les rues grâce à l’organisation bien rodée de FO et de la CGT. Avec sans doute comme point d’orgue le 23 janvier, date de présentation du projet de loi en conseil des ministres. Soit deux jours après la marche contre la vie chère organisée par La France Insoumise.

Le pays s’apprête donc à rentrer dans une période sociale troublée et qui va le rester au moins jusqu’à fin mars, tant que dureront les travaux des parlementaires. Ce qui est peu satisfaisant pour "la France qui travaille" compte tenu d’un climat économique atone après l’effet de la reprise post-covid, et en raison d’un refroidissement de l’économie liée autant aux hausses du coût de l’énergie qu’à la forte remontée des taux d’intérêt.

 

Bonne nouvelle du côté de l’inflation…

 

Sur le front économique, le pays a connu une bonne nouvelle la semaine passée en apprenant que le rythme de l’inflation sur un an a ralenti en décembre, sous l’effet notamment du ralentissement des prix de l’énergie, qui a permis de compenser la poursuite de l’augmentation des prix alimentaires, selon une première estimation publiée par l’Insee. L’indice des prix à la consommation s’est donc inscrit en hausse de 5,9 % sur les douze mois à fin décembre, contre 6,2 % à fin novembre. L’indice des prix à la consommation harmonisé selon les normes européennes, qui permet les comparaisons avec les autres pays de la zone euro, s’inscrit quant à lui en hausse de 6,7 % sur un an à fin décembre (contre 7,1 % à fin novembre), un niveau inférieur aux attentes des économistes interrogés par Reuters, qui tablaient sur une légère accélération, à 7,2 %.

Au vu des prévisions, le léger ralentissement de l’inflation en décembre ne devrait pas se confirmer dans les prochains mois, la Banque de France, comme l’Insee, tablant sur un pic de l’inflation annuelle en début d’année 2023 et n’anticipant pas de reflux avant le milieu de l’année. Un scénario également privilégié par le gouvernement, et réaffirmé mercredi dernier sur France Inter par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire. L’indice des prix à la consommation définitif de décembre, le seul valable pour les indexations de contrats privés, rentes viagères, pensions alimentaires ou l’évolution du Smic par exemple, sera diffusé, vendredi prochain, le 13 janvier.

 

… qui amène le Gouverneur de la Banque de France à plaider pour le pragmatisme contre le fétichisme des hausses de taux mécaniques

 

Tout cela explique pourquoi le Gouverneur de la Banque de France, lors de ses vœux faits jeudi soir, tout en rappelant que l’inflation atteindra son pic au cours du semestre en cours, a expliqué que la France avait atteint en décembre un niveau proche du "taux d'intérêt neutre" à 2 %, étape importante dans la stabilisation monétaire. Et François Villeroy de Galhau de rappeler qu’il "serait souhaitable d’atteindre le bon "taux terminal" d’ici l’été prochain, mais il est trop tôt pour préjuger de son niveau". Pour lui, il convient donc de rester pragmatiques et guidés par les données observées y compris de l’inflation sous-jacente, sans fétichisme des hausses trop mécaniques. S’éloignant du discours des faucons allemands notre grand argentier a donc rappelé que "la course de vitesse des hausses de taux en 2022 devient plutôt une course de fond, et la durée comptera au moins autant que le niveau."

Par ailleurs, comme il l’avait déjà fait au mois de décembre lors d’un déplacement à la Toulouse Economic School, il a insisté – à raison ! - sur la nécessité de ramener vers zéro, d’ici deux ou trois ans, les subventions budgétaires à l’énergie. Et de répartir plus efficacement la facture entre entreprises et ménages, en veillant à l’équité envers les ménages – par des mesures mieux ciblées vers les plus touchés – mais tout autant à la compétitivité des entreprises. Avant d’ajouter en conclusion cette phrase que tout le monde devrait partager du sommet de l’État jusqu’au moindre chef de bureau et de la droite la plus libérale à la gauche la plus sociale : "l’arme de la victoire durable contre l’inflation n’est pas budgétaire, elle est d’abord monétaire et ensuite structurelle."

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