WAN
menu
 
!
L'info stratégique
en temps réel
menu
recherche
recherche

Macro-économie / Taux / Ludovic Subran / Allianz

Macro-économie / Taux
Ludovic Subran / Allianz

exclusif L'année 2023 vue par... Ludovic Subran / Chef économiste du groupe Allianz

EXCLUSIF.

WanSquare a demandé à des économistes et des dirigeants de grandes entreprises de livrer leur vision pour 2023 après une année 2022 marquée par les chocs inflationniste, énergétique, géopolitique et monétaire. Chaque jour nous publions leurs réponses aux questions que vous vous posez. Une série à lire, partager et conserver précieusement.

29/12/2022 - 14:00
Ludovic Subran - DR
Ludovic Subran - DR

Quelles sont vos perspectives pour l’économie mondiale ? Avez-vous élaboré plusieurs scénarios selon l’évolution de la guerre en Ukraine ? 

 

Les principales grandes économies sont en phase de décélération, en raison de l’essoufflement du rebond post-pandémie, de la forte inflation, du durcissement des conditions financières et, notamment pour l’Europe, de la crise énergétique. La Chine fait face à des défis de nature différente, liés à sa politique zéro-Covid.

Nous tablons sur une entrée en récession fin 2022 pour la zone euro et le Royaume-Uni, et début 2023 aux Etats-Unis.

En Europe, la perte de revenus réels des ménages et la montée progressive des taux d’intérêts devraient réduire la consommation et l’investissement. Nous faisons l’hypothèse que les approvisionnements de gaz russe se réduiront à des niveaux quasi nuls dans un contexte de poursuite de la guerre en Ukraine. Cela maintiendra des prix très élevés – préjudiciables notamment à la production industrielle – et devrait conduire à un manque énergétique équivalent à 2% de l’énergie finale consommée en Union européenne, après prise en compte des mesures d’économies d’énergie. Cependant le soutien des Etats devrait limiter l’ampleur de la récession, avec l’instauration de boucliers tarifaires sur les factures des ménages et des entreprises ainsi que des aides ciblées.

Aux Etats-Unis, le marché immobilier est en phase de correction rapide depuis l’été, frappé par des hausses très fortes des taux hypothécaires. Coté consommation, des effets de richesses négatifs, puissants aux Etats-Unis, sont attendus en 2023, alors que les entreprises ont commencé à réduire leurs plans d’investissement en raison du resserrement des conditions financières.

 

 

La récession est-elle inéluctable en Europe d’ici les prochains mois ? Et en France ? 

 

Nous pensons que le scenario de récession est le plus probable l’année prochaine en Europe, France comprise, en raison de la persistance de la crise énergétique et du durcissement des conditions financières. Le choc gazier que nous subissons est le choc énergétique le plus important depuis les années 1970. La France subie, au même titre, que ses voisins, les effets néfastes de la flambée des prix énergétiques. Les difficultés du parc nucléaire français depuis l’année dernière obligent par ailleurs la France à importer de l’électricité (à un prix très élevé) depuis ses voisins. Par ailleurs, la Banque centrale européenne est engagée dans une phase de resserrement de sa politique sans précédent depuis sa création. Les hausses des taux d’intérêt sur les nouveaux crédits (immobiliers, entreprises), qui ont à peine commencé (notamment en France), devraient peser sur la consommation et l’investissement l’année prochaine.

Néanmoins, un apaisement des tensions géopolitiques et une détente avec la Russie ne sont pas à exclure au cours des prochains mois. Dans un tel scenario, une partie des approvisionnements de gaz pourrait reprendre, ce qui éviterait à l’Europe de rentrer en récession. Notons cependant qu’une baisse des prix énergétiques ne signifiera pas un assouplissement des conditions monétaires. L’inflation sous-jacente est forte en zone euro, et une reprise économique en 2023 risquerait d’enclencher une boucle prix-salaires. La Banque centrale européenne restera donc ferme dans un tel scenario, avec des taux d’intérêt qui resteraient orientés à la hausse.

 

 

Faut-il s’inquiéter d’un découplage entre les Etats-Unis et la zone euro ? 

 

Pour 2023, nous prévoyons des récessions de même ampleur des deux côtés de l’Atlantique : -0.3% aux Etats-Unis et -0.4% en zone euro. En revanche, la reprise en 2024 devrait être plus forte (bien que molle) aux Etats-Unis, qui subira moins que la zone euro les effets corrosifs de la crise énergétique : affaiblissement du potentiel de croissance de la zone euro via des pertes de productivité, détérioration de la compétitivité vis-à-vis des Etats-Unis qui bénéficient d’une énergie moins chère et abondante. Le risque est donc de voir une accélération de la désindustrialisation de l’Europe, au profit notamment des Etats-Unis, avec des effets néfastes sur le niveau de vie et l’emploi.

 

 

Le ralentissement économique chinois vous préoccupe-t-il ? 

 

L’économie chinoise risque de continuer à connaître des difficultés dans les mois à venir, avec une demande domestique en berne étant donné le contexte de crise immobilière et de politique zéro-Covid. Même si cette dernière pourrait être assouplie à la marge à court terme, la confiance des ménages ne risque pas de se rétablir tout de suite alors que le pays est en plein milieu de sa pire épidémie de Covid-19 depuis 2020. Pour le reste du monde, même si le consommateur chinois ne sauverait pas le monde comme par le passé, il ne créerait pas non plus de pression inflationniste supplémentaire. Si l’on élargit l’horizon, dans notre scénario central nous envisageons une reprise de l’économie chinoise durant la seconde moitié de l’année prochaine, qui serait le résultat d’une relaxation plus visible de la politique de zéro-Covid à partir du printemps 2023. Cela pourrait amener la croissance chinoise dans la fourchette de 4-4.5% en 2023, après moins de 3% en 2022. Le rebond post-Covid devrait se prolonger en 2024, et nous attendons une croissance d’environ 5% cette année-là.

 

 

L’inflation actuelle, d’où qu’elle vienne (matières premières, pénuries multiples, hausses de salaires), a-t-elle franchi son pic ? 

 

L’inflation a déjà entamé sa décrue aux Etats-Unis, et sa baisse devrait se poursuivre au cours des 12 prochains mois en raison de la normalisation des chaînes de valeur, de l’entrée en récession, de la baisse spectaculaire du coût de fret, et du retournement du marché de l’immobilier (qui devrait à terme peser sur l’inflation des loyers). Ces pressions désinflationnistes en cours ou à venir se retrouvent pour l’essentiel dans les économies européennes – y compris l’entrée en récession - mais du fait de la crise énergétique et de la faiblesse de l’euro, le pic d’inflation est plus tardif. La bonne nouvelle est que les données de novembre ont montré une décrue ou une stabilisation de l’inflation dans plusieurs pays, un peu plus tôt que nos attentes. Néanmoins nous pensons qu’une baisse durable n'interviendra qu’au début de 2023, notamment en France, ou la hausse des tarifs régulés du gaz et de l’électricité en janvier et février prochains poussera l’inflation de nouveau à la hausse.

 

 

Quelle influence auront les politiques monétaires des Banques centrales sur l’économie réelle et les marchés financiers en 2023 ?

 

Le resserrement rapide des politiques monétaires – entamé il y a seulement quelques mois aux Etats-Unis et en Europe – devrait se faire sentir pleinement sur l’économie réelle au cours de 2023. La politique monétaire influence en effet l’économie réelle avec retard, via les conditions financières. Nous nous attendons à la poursuite – ou au début – du retournement des marchés immobiliers ainsi qu’à un durcissement des conditions de crédit par les banques, qui pèsera sur l’investissement des entreprises. Du côté des marchés financiers, les politiques monétaires et les nouvelles sur le front de l’inflation continueront d’alimenter la volatilité. Les fondamentaux (profit courant et attendu des entreprises par exemple) ne commenceront à reprendre leur place qu’à partir du moment où les banques centrales commenceront à pivoter vers des politiques un peu moins restrictives, via de (modestes) baisses de leurs taux directeurs. Cela ne devrait pas arriver avant la fin de l’année 2023.

 

 

Après avoir été en retrait ces dernières années, pensez-vous que le sujet de la soutenabilité des dettes publiques pourrait être de nouveau l’objet de toutes les attentions ? 

 

Les problèmes de soutenabilité de la dette publique ont déjà commencé à faire leur réapparition au Royaume-Uni, ou les plans budgétaires de l’éphémère gouvernement Tuss ont fortement déplu aux marchés financiers. La forte remontée des taux d’intérêt, la récession et, en Europe, les mesures budgétaires déployées face à la crise énergétique vont dégrader les finances publiques de beaucoup d’Etats, ou du moins en retarder l’amélioration. Dans ce contexte, il est probable qu’en effet ces sujets reviennent sur la table en 2023 ou 2024, notamment en zone euro. Les pressions sur les gouvernements pour présenter des plans crédibles d’assainissement des finances publiques devraient s’accroître au cours des deux prochaines années.

 

 

Estimez-vous que le dollar va continuer de s’apprécier ? Quelles conséquences pour l’économie mondiale ?

 

Les facteurs macroéconomiques qui ont soutenu le dollar - par exemple l'inflation et les hausses des taux d'intérêt de la Fed - atteignent leur pic ou des points d'inflexion, ce qui a entraîné une amélioration du sentiment du marché ces dernières semaines et le dollar a perdu du terrain par rapport à presque toutes les principales devises.

Cela dit, nous pensons qu'il est encore trop tôt pour décréter une faiblesse durable du billet vert et nous avons une position plus neutre avec une forte volatilité, surtout à court terme. Après tout, les conditions qui soutiennent la monnaie continuent de se déployer : la Fed devrait ralentir le rythme de ses hausses de taux d'intérêt, mais nous pensons qu'elle continuera d'adopter une attitude ferme pendant un certain temps encore, tandis que beaucoup de banques centrales mondiales ont pivoté ou sont sur le point de pivoter dans une direction plus souple en raison du ralentissement de la demande intérieure et/ou de l'augmentation des risques pour la stabilité financière.

En outre, les conditions météorologiques hivernales en Europe laissent entrevoir le risque d'une nouvelle flambée des prix de l'énergie et d'un mode " risk-off " - ce qui accentue le rôle de valeur refuge du dollar - et la situation économique en Chine restera fragile. Par conséquent, le dollar restera relativement fort pendant un certain temps encore.

La force du dollar continuera à peser sur les pays qui ont une dette extérieure élevée libellée en USD. En outre, un dollar plus fort augmente également les coûts d'importation, ce qui signifie que les principales banques centrales pourraient limiter un éventuel futur cycle d'assouplissement monétaire pour contenir les pressions sur les prix.

Vous souhaitez réagir à cet article ou apporter une précision ?
Commentez cet article