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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Ça craque de partout...
par Yves de Kerdrel

On s’attendait à un hiver très froid. Et voilà que l’automne se révèle très chaud sur le front social. Avec les blocages des raffineries et des dépôts pétroliers, les grèves dans les centrales nucléaires et un vaste mouvement interprofessionnel mardi. À côté de cela la tension est forte dans l’hémicycle où après le rejet de plusieurs articles du projet de Loi de Finances pour 2023, le gouvernement s’apprête à faire jouer l’article 49-3.

16/10/2022 - 06:30 Lecture 11 mn.

 

Les responsables de la communication présidentielle se succèdent mais ils n’arrivent pas à faire comprendre au Chef de l’État qu’il est le seul à avoir le privilège de "la parole rare". C’est ce qu’avait théorisé, à l’époque de François Mitterrand, le remarquable Jacques Pilhan, décédé trop tôt. Et c’est bien parce que Jacques Chirac avait le tort d’être trop bavard, que sa fille Claude a convaincu l’ancien "spin doctor" de François Mitterrand de travailler pour son père.

Emmanuel Macron avait commencé son premier mandat en expliquant qu’il parlerait peu, à la différence de son prédécesseur, qui rencontrait des journalistes en "on" ou en "off" et qui aimait trop leur compagnie. Malheureusement il ne s’est tenu que quelques semaines à cette règle du silence. Et cela s’est compris ensuite lorsque l’on a pris conscience que le couple exécutif formé avec Édouard Philippe était très tendu. Si bien que le Président de la République voulait montrer qu’il était le seul à décider, mais aussi à exécuter.

 

Le Président toujours trop bavard

 

Emmanuel Macron avait donc prévu de faire sa rentrée médiatique mercredi dernier à l’occasion de la nouvelle émission politique de France 2. Une émission qui devait être consacrée au climat international après les frappes massives de la Russie sur l’Ukraine par l’envoi de près d’une centaine de missiles lundi dernier à l’aube. Mais Caroline Roux a contraint le Chef de l’État à s’expliquer aussi sur la pénurie de carburants qui commence à paralyser le pays en raison du blocage des raffineries et des principaux dépôts pétroliers.

Ce soir-là, le Président de la République, oubliant le principe cardinal du Général de Gaulle selon lequel "Rien ne rehausse l'autorité mieux que le silence", a commis deux grosses erreurs de communication. La première en affirmant que tout allait s’arranger sur le front des pénuries d’essence en milieu de semaine prochaine. Ce qui était le meilleur moyen de pousser les grévistes à le faire mentir, en dépit de la mise en œuvre des réquisitions. La seconde erreur – extrêmement grave – a été de préciser la doctrine de la France en matière de dissuasion nucléaire et d’affirmer haut et fort que si un missile balistique (avec ogive nucléaire) était lancé sur l’Ukraine, la France ne réagirait pas, puisque ses intérêts fondamentaux ne seraient pas remis en cause. Inutile de dire que cette phrase a fait trembler les murs pourtant épais de Balard où tous nos chefs militaires ont été effondrés de voir "le chef des Armées" expliquer ce que serait notre attitude, alors que le principe même de la dissuasion est de cacher son jeu à l’ennemi de manière à le "dissuader" d’utiliser l’arme atomique.

 

Une réquisition nécessaire mais complexe

 

Toujours est-il qu’en dépit des efforts faits par Esso et TotalEnergies sur le plan salarial plus l’annonce d’une prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, rien n’a changé, à ce jour, du côté des dépôts de carburants et des raffineries. Si bien que Philippe Martinez, le patron de la CGT, qui était absent de ce mouvement pour des raisons de guerre de chapelle interne à son syndicat, a fini par "raccrocher les wagons" jeudi matin en faisant même de la surenchère et en appelant à une grève interprofessionnelle ce mardi 18 octobre. D’ici là, la marche organisée ce dimanche par Jean-Luc Mélenchon "contre la vie chère et l’inaction climatique" se présente comme un moment à risques. À tel point que le ministre de l’Intérieur a annulé un déplacement pour suivre les risques d’incidents.

La grève de mardi va affecter notamment la SNCF, les transports parisiens, les lycées professionnels, mais aussi le secteur de la santé. La CFDT santé avait lancé, il y a plusieurs semaines un appel à la grève dans toutes les cliniques et maisons de retraite à but lucratif, là aussi pour réclamer une hausse des salaires. Ce mouvement constitue, dans le rapport de force avec les syndicats, la réponse à la décision de réquisitionner des grévistes. Mais le gouvernement se devait d’agir ainsi et de faire revenir l’ordre. D’abord car certains domaines stratégiques risquaient d’être affectés, notamment les aéroports ou le secteur de la santé (les militaires ont heureusement leur propre "service des essences" qu’ils gardent jalousement dans le cadre de leur format d’armée complète). Ensuite pour montrer que le pays ne pouvait laisser la place à "la chienlit".

 

Du bon usage du 49-3

 

D’autant que le désordre est tout aussi visible au sein de l’Assemblée nationale. Après avoir rejeté en commission des finances des articles importants au sein de la partie "recettes" du projet de loi de finances, des coalitions hétéroclites et improbables ont repoussé plusieurs articles du projet de budget pour 2023 en séance plénière, dont l’article liminaire qui fixe le cadre général des finances publiques pour l’année à venir. Quelle que soit l’arrière-pensée des initiateurs de ces rejets, ils ne pouvaient ignorer que cela allait déclencher, ipso facto, la mise en œuvre de l’article 49-3. Le conseil des ministres de mercredi dernier a donc autorisé la Première Ministre à en faire usage quand bon lui semblera.

Tous les parlementaires s’accordent à penser qu’Élisabeth Borne le mettra en œuvre dès demain, sinon mercredi. Avant que les députés abordent l’examen du volet "dépenses" du PLF 2023. Ce qui signifie autour du grand mouvement de grève et de la séance des questions au gouvernement. L’utilisation de cet article destiné à faire passer le projet de loi de finances sans discussion des amendements et par le jeu "du vote bloqué" va nécessairement entraîner le dépôt d’une motion de censure par la France Insoumise et le Rassemblement National. Si les deux groupes ne se coordonnent pas officiellement, le député insoumis Manuel Bompard, qui a repris le siège de Jean-Luc Mélenchon comme député de Marseille, a expliqué que LFI voterait sans état d’âme une motion de censure déposée par Marine Le Pen. Mais ce ne sera sûrement pas le cas des Républicains qui se veulent comme le parti de l’ordre.

 

L’Allemagne au bord de la récession

 

Le Pays n’avait pourtant pas besoin de ce désordre à la fois politique et social à un moment où la conjoncture économique se dégrade plus vite que prévu. Désormais il ne fait plus de doute que la croissance pour 2023 sera bien inférieure aux prévisions du gouvernement qui table sur +1 % de progression du Produit Intérieur Brut. Le FMI a émis une alerte il y a quelques jours et escompte pour la France une croissance de seulement 0,7 %. La Banque de France est toujours sur une tendance à + 0,5 % sans exclure un risque de récession. Quant aux analystes de Rexecode, ils voient tout simplement la croissance française à 0 % en 2023.

Le gouvernement allemand, de son côté, a annoncé mercredi s’attendre à ce que la première économie d’Europe tombe en récession en 2023 en raison de la crise énergétique, de la hausse des prix et des goulets d’étranglement sur les réseaux d’approvisionnement. L’économie allemande devrait se contracter aux troisième et quatrième trimestres de cette année ainsi qu’au premier trimestre de 2023, a déclaré le ministre de l’Économie, Robert Habeck. Le gouvernement allemand anticipe désormais une contraction de 0,4 % du produit intérieur brut en 2023 alors qu’il prévoyait auparavant une croissance de 2,5 %.

 

Incroyable duplicité allemande sur l’énergie

 

Dans ce contexte où nos deux économies sont inéluctablement liées, l’Allemagne continue de jouer cavalier seul sur le plan énergétique en maintenant son projet de bouclier tarifaire à destination de ses grands industriels. Emmanuel Macron n’a pas réussi à les ramener dans le cadre d’une initiative européenne qui tarde à voir le jour. Par ailleurs, comme elle s’y était engagée, la France a commencé jeudi à envoyer du gaz en Allemagne afin d’aider cette dernière à faire face à la crise énergétique. En échange, Berlin doit nous livrer de l’électricité (produite avec de la lignite) lors des pics de consommation cet hiver.

En fait comme le rappelait de manière très pertinente la newsletter TTSO il y a quelques jours, les intérêts de Paris et de Berlin divergent totalement. Pour la France, la priorité est de faire baisser le prix de l’énergie en plafonnant le prix du gaz. Alors que pour l’Allemagne l’essentiel est d’éviter toute rupture d’approvisionnement. Cité par Le Figaro, un bon connaisseur des milieux d’affaires franco-allemand confiait récemment : "Tout ce qui remonte des entreprises allemandes vers la chancellerie, au travers notamment du patron d’Allianz Oliver Bäte qui pilote la réponse à la crise énergétique converge autour d’un message et un seul : pas de cadeau pour les Français". Autant dire que l’Europe n’est pas sortie de crise existentielle !

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