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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Quand le monde bascule… sous nos yeux !
par Yves de Kerdrel

Il y a trois semaines, le Chef de l’État avait parlé de « basculement du monde » à propos des bouleversements géopolitiques et de leurs conséquences économiques. Ce « basculement du monde » a déjà commencé ainsi que l’a démontré cette semaine le Programme des Nations Unies pour le Développement. Et il va s’accentuer avec l’impact des sanctions économiques que l’Occident a mises en place contre la Russie.

11/09/2022 - 06:30 Lecture 14 mn.

 

Si l’actualité de ces derniers jours et de ces dernières heures est tout entière dominée par la disparition d’Élizabeth II, ce ne sera pas ici notre sujet, même si l’histoire du Royaume-Uni montre que chaque grand évènement qui affecte la famille royale a des retentissements économiques. Pour l’heure la mort de cette souveraine qui aura régné presque autant que Louis XIV a pour effet d’atténuer l’impact de l’annonce du très libéral programme de Liz Truss qui a succédé mardi dernier à Boris Johnson.

Beaucoup de choses ont été dites ou écrites sur "The Queen". Mais au moment où cette puissance insulaire commence à ressentir les premiers effets du Brexit, il faut se rappeler que celle qui fût l’épouse de Philippe de Grèce (devenu Battenberg puis Mountbatten) avait des arrière-grands-parents prussiens, allemands, danois et russes, et qu’elle avait été élevée dans la langue française par une "nanny" belge. Tout comme son aïeule Victoria, elle incarnait à elle seule, l’Europe. Et même s’il lui était interdit de faire part de ses opinions, on sait que le Brexit a été pour elle un déchirement. Alors qu’elle s’était réjouie, il y a cinquante ans de voir son Royaume rejoindre ce qui n’était alors que la Communauté Européenne. Fin de cette parenthèse.

 

La guerre en Ukraine accroît les passions identitaires

 

Le changement historique que vit la Grande-Bretagne pourrait sembler participer de ce "basculement du monde" dont il est tant question depuis que le Chef de l’État en a fait mention en Conseil des Ministres, puis devant nos ambassadeurs réunis lors de leur conférence annuelle à Paris. Mais c’est l’avantage des monarchies qu’à peine une souveraine meurt, un souverain lui succède et qu’en dehors de changements sur les timbres ou sur les pièces de monnaies, rien ne change alors que tout est différent.

En revanche il y a deux pays européens qui se préparent à des élections majeures : la Suède et l’Italie. Avec dans les deux cas une forte probabilité d’assister à un raz de marée de l’extrême droite. Ce qui n’a rien de rassurant dans cette période où les passions identitaires exacerbées par le choc de l’agression de l’Ukraine par la Russie et par la démondialisation en marche depuis la crise sanitaire semblent l’emporter sur la raison qui gouverne depuis plusieurs siècles nos démocraties libérales.

 

Risques croissants de fragmentation en Europe

 

La possible arrivée d’un parti néofasciste au pouvoir de l’autre côté des Alpes est un motif d’inquiétude pour l’Europe tout entière, pour la zone Euro et pour la France, dans la mesure où comme le montre très bien le remarquable ouvrage sur "les ingénieurs du chaos", une véritable internationale des partis populistes et extrémistes est en train de se mettre en place. Quant à la Suède – même si cela nous parait plus loin – il s’agit d’un parti néonazi…

Il y a cinq ans, Emmanuel Macron avait pointé du doigt, lors de son premier grand discours sur l’Europe, le risque de voir s’accroître les régimes "illibéraux". Son propos visait alors surtout la Pologne et la Hongrie. Mais rien ne laissait imaginer que la vague populiste prendrait une telle ampleur au point de devenir le principal motif de fragmentation d’une Union Européenne toujours en panne de leadership.

 

La politique des sanctions au sujet des Rencontres d’Évian

 

Il y a deux bonnes raisons structurelles pour évoquer aujourd’hui ce "basculement du monde". La première a été largement évoquée par les grands patrons français et allemands qui se sont réunis comme chaque année au tout début du mois de septembre à Évian. Ces rencontres franco-allemandes sont très confidentielles, d’autant plus que cette année, Emmanuel Macron y a fait une intervention le 1er septembre au soir.
Mais plusieurs participants nous ont relaté la forte inquiétude des chefs d’entreprise allemands sur deux sujets majeurs. Le premier, c’est naturellement le choc énergétique et l’impact des sanctions prises il y a six mois contre la Russie. Le second tient aux éventuelles conséquences d’une reprise en main de Taïwan par la Chine avec à la fois les conséquences sur le commerce extérieur allemand et sur notre approvisionnement en semi-conducteurs.

 

L’inquiétude croissante des patrons allemands

 

Concernant le sujet des sanctions frappant la Russie qui ont entraîné la diminution de notre fourniture de gaz russe et maintenant l’arrêt de cet approvisionnement, il commence à y avoir un réel hiatus entre les industriels qui voient grimper leur facture énergétique et le discours politique qui se durcit d’autant plus que le conflit dure et gagne en intensité sur le territoire ukrainien.

L’une des questions que se posent plusieurs grands patrons allemands mais aussi français est : face à ce conflit naturellement inacceptable et à la volonté insupportable de Vladimir Poutine de remettre en cause les frontières de ses voisins, ne peut-on pas plutôt négocier un cessez-le-feu et un arrêt des hostilités plutôt que d’imposer à l’Europe et aux Européens une flambée des coûts de l’énergie ?

 

Économie et morale : la grande confusion

 

Le Chef de l’État français a bien sûr été interrogé sur ce dilemme. Mais il reste droit dans ses bottes avec deux arguments. Le premier, c’est que pour lui, il est devenu impossible de discuter et de négocier avec le Président russe, tant il a montré qu’il n’était pas fiable et qu’il n’a pas de parole. Le second se place sur le terrain de la morale et se résume dans la phrase qu’il avait prononcée au mois d’août à Bormes-les-Mimosas : "il nous faut accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs". Ce qui signifie que nous devons subir l’impact douloureux de ces sanctions si nous voulons éviter un engrenage insupportable sur le continent européen avec la remise en cause perpétuelle de pays souverains par une dictature.

En plaçant les sanctions sur le terrain de la morale (notre liberté et nos valeurs), Emmanuel Macron – comme d’autres dirigeants européens – reconnaît de fait que ces sanctions sont inefficaces pour faire cesser ce conflit et même les velléités de conquête de la Russie. Surtout s’ils sont d’abord des citoyens avant d’être des chefs d’entreprise, ces derniers savent que l’on ne demande pas à une société, à un système capitaliste ou à une économie d’être morale, mais de produire des richesses qui font la prospérité de tout un pays. Par ailleurs dans le discours présidentiel qui met en avant "l’effort de guerre", voire "l’économie de guerre" il y a une contradiction qui tient au fait qu’il ne cesse de répéter que nous ne sommes pas en guerre contre la Russie.

 

Trois quarts des Français jugent les sanctions inefficaces

 

Ce sujet des sanctions, de leur impact sur la vie économique, sur la production industrielle, mais aussi sur le pouvoir d’achat des Français – comme des autres européens – commence à monter dans l’opinion. Et à l’Élysée on a été secoué cette semaine par la publication d’un sondage réalisé par Elabe pour BFM TV montrant que si 72 % des Français prennent encore fait et cause pour les pénalités décrétées contre l'envahisseur et l'aide à l'Ukraine, ils sont aussi 74 % à estimer que les sanctions ne sont pas efficaces.

Des chiffres qui traduisent la crainte grandissante autour de conséquences économiques du conflit sur les particuliers et les ménages français. Sans surprise, ce sont donc les Français les plus aisés ou les moins en difficultés qui sont les plus nombreux à militer en faveur des sanctions antirusses et le soutien à l'Ukraine. Le taux chute en revanche à 29 % chez les ouvriers, dont 34 % réclament plutôt l'arrêt des sanctions.

 

Un recul du développement, facteur d’instabilité

 

L’autre raison qui nous amène à parler aujourd’hui de "basculement du monde" est liée à la publication par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de son rapport annuel sur l’évolution de l’indice de développement humain (IDH). Avec un recul de cet indicateur pour la deuxième année consécutive, après trente de hausse ininterrompue. Ce qui signifie que plus de 90 % des pays dans le monde ont connu un recul du développement (espérance de vie, éducation, revenus…).

Pour ce Programme des Nations Unies, le monde vacille de crise en crise, piégé dans un cycle de lutte contre les incendies et incapable de s'attaquer à l’origine des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Au point d’avertir que sans un changement radical de cap, nous risquons d’avoir à supporter encore davantage de privations et d'injustices. Et de rappeler que les deux dernières années ont eu un impact dévastateur pour des milliards de personnes dans le monde, lorsque des crises comme la COVID-19 et la guerre en Ukraine se sont succédé et ont interagi avec des changements sociaux et économiques radicaux, des changements planétaires dangereux et une aggravation de la polarisation.

 

Une grande partie des progrès planétaires annulés

 

Pour la première fois depuis 32 ans que le PNUD calcule l’indice de développement humain (IDH), qui évalue la santé, l’éducation et le niveau de vie d’une nation, celui-ci a diminué mondialement pendant deux années consécutives. Le développement humain est retombé à ses niveaux de 2016, annulant ainsi une grande partie des progrès vers la réalisation des objectifs de développement durable. L'inversion est presque universelle, puisque plus de 90 % des pays ont enregistré une baisse de leur IDH en 2020 ou 2021 et plus de 40 % ont vu leur score chuter au cours de ces deux années, signalant que la crise continue de s'aggraver pour beaucoup.

Alors que certains pays commencent à se remettre sur pied, la reprise est inégale et partielle, creusant encore les inégalités en matière de développement humain. Conclusion des auteurs de cette étude : "Nous sommes collectivement paralysés face à ces changements. Dans un monde défini par l'incertitude, nous avons besoin d'un sens renouvelé de la solidarité mondiale pour relever nos défis communs et interconnectés." Pour tracer une nouvelle voie, le rapport recommande de mettre en œuvre des politiques axées sur l'investissement - des énergies renouvelables à la préparation aux pandémies - et sur l'assurance - notamment la protection sociale – qui prépareront nos sociétés aux aléas d'un monde incertain. Parallèlement, l'innovation sous ses nombreuses formes (technologique, économique, culturelle) peut également renforcer les capacités pour répondre aux difficultés à venir. Car il n’est pire basculement du monde, lorsque celui-ci, pour la première fois dans la longue histoire des hommes, fait que les générations qui nous suivent vivront moins bien que nous…

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