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Feuilleton de l'été / Charles Gorintin / Alan

Feuilleton de l'été
Charles Gorintin / Alan

exclusif Série d’été - ces jeunes leaders qui construisent la France de demain / Charles Gorintin, co-fondateur et CTO d'Alan

EXCLUSIF.

De ses débuts dans la Silicon Valley à la co-fondation de l’assurtech, en passant par son soutien à celle de Mistral AI, cet ingénieur aborde l’entrepreneuriat avec une vision bien définie. Et c’est avec l’idée de réinventer un secteur et de créer une nouvelle manière de travailler que l'aventure Alan débutera en 2016. Précurseur en matière d’intelligence artificielle et soucieux de cultiver son esprit de débutant, Charles Gorintin garde un objectif précis en ligne de mire : créer un acteur mondial de la santé.

21/08/2024 - 09:00
Charles Gorintin, co-fondateur d'Alan (©David Altan)
Charles Gorintin, co-fondateur d'Alan (©David Altan)

Réinventer un secteur et imaginer une nouvelle manière de travailler sont des projets d’envergure. C’est avec l'envie commune de porter cette vision que Charles Gorintin a co-fondé Alan en 2016 avec Jean-Charles Samuelian-Werve. Un associé qu’il rencontrera d’ailleurs au début de son parcours, après ses années de classes préparatoires scientifiques, sur les bancs de l’école des Ponts.

Mais l’aventure ne débutera pas tout de suite, puisque l’ingénieur se spécialisera d’abord dans les mathématiques appliquées et l’intelligence artificielle, au sein du master "Machine learning and computer vision" de l’École normale supérieure. "Tous les gens qui comptent de près ou de loin dans l’IA sont passés par là", souligne-t-il à WanSquare. Un signe précurseur de ce qui l’attendra par la suite.

 

La fièvre de la Silicon Valley

 

En attendant, c’est en Californie que Charles Gorintin s’en ira faire ses armes dans un premier temps. Après avoir terminé ses études à l’université de Berkeley, il décrochera son premier emploi chez Facebook, en tant que data scientist. "J’ai été embauché juste avant l’introduction en Bourse de Facebook et j’y ai même un peu découvert le titre de data scientist", plaisante-t-il. S’ensuivra ensuite un passage chez Instagram, puis chez Twitter, avant que son chemin ne recroise celui de son camarade d’école.

Alors que Jean-Charles Samuelian-Werve avait de son côté déjà créé une première entreprise, les deux fondateurs d’Alan reprennent contact. "Avant de partir aux États-Unis, lorsque j’étais dans mon master, l’entrepreneuriat ne rentrait pas dans mon logiciel. Mais quand on vit dans la Silicon Valley, il y a évidemment quelque chose de la culture start-up qui rentre en nous : toutes les entreprises pour lesquelles j’ai travaillé n’avaient pas plus de dix ans de vie, ce qui a éveillé en moi l’envie de créer", retrace le normalien.

 

Le bon moment

 

Néanmoins, les circonstances devaient être les bonnes. "Il était vraiment important pour moi de le faire aux côtés de Jean-Charles et en France, je suis redevable de toute la formation que m’a fourni l’État", poursuit-il, ayant lui-même été boursier au fil de ses études. D’autant qu’à l’époque, alors que des membres de leurs familles respectives ont rencontré des soucis de santé, les deux associés partagent le même constat. Les données en santé ne sont pas assez bien utilisées pour faire de la prévention. L’idée était alors de créer un service qui permettrait de prévenir les patients du bon moment auquel aller consulter. Problème : "Nous nous sommes rendu compte qu’il fallait des données et de l’argent, sauf que ni les professionnels ou les individuels n’étaient prêts à payer pour cela. La solution était de passer par les assurances. Mais les infrastructures étaient assez vétustes et même en termes de business, nous avons rapidement réalisé qu’il allait être difficile de travailler avec eux", explique Charles Gorintin.

Alors le pari est fait. Ils créeront une entreprise d’assurance 2.0. "On nous a dit que c’était impossible, qu’il n’y avait pas eu de nouvelle société d’assurance en France depuis 1986. Mais nous nous sommes entourés, nous avons travaillé d’arrache-pied et absorbé le code de l’assurance. Six mois plus tard, nous obtenions notre agrément pour devenir une société d’assurance", retrace le directeur de la technologie d’Alan.

 

Des valeurs définies

 

Le but était donc clair. Ils allaient reconstruire, à partir de zéro, tout un système d’assurance moderne. "Il était impossible de souscrire à une assurance entièrement en ligne en 2016", rappelle-t-il. En parallèle de cela, un sujet lui tient tout particulièrement à cœur, soit celui d’inventer une nouvelle manière de travailler. Et quoi de mieux que de créer sa propre entreprise pour y parvenir ? "Nous avons écrit toutes les valeurs d’Alan avant d’embaucher quiconque. Notre vision repose notamment sur deux piliers : la transparence radicale et la responsabilité distribuée. Nous travaillons uniquement à l’écrit, nous ne faisons pas de réunions. Toutes les décisions qui sont prises sont disponibles à la lecture de tous, même notre grille de salaire a toujours été publique", illustre Charles Gorintin.

Le dirigeant y voit de multiples avantages. Les réunions ont parfois tendance à s’éterniser, ce sont des heures de travail qui pourraient être utilisées autrement. Travailler de manière asynchrone aura évidemment offert à l’entreprise un coup d’avance lors de l’épidémie de Covid-19. Surtout, "cela permet de passer plus de temps à réfléchir aux idées plutôt que de penser à la forme", appuie Charles Gorintin. Réfléchir aux idées, justement, est une chose à laquelle le dirigeant accorde une importance particulière. En témoigne, en 2022, son envie de se former de nouveau à l’IA.

 

L’aventure Mistral AI

 

"J’ai commencé à sentir quelque chose dans l’air. De nouveaux outils arrivaient et j’étais intimement convaincu que cela allait pouvoir transformer notre entreprise", explique-t-il. Pendant plusieurs mois, il s’entraîne sur quelque cas d’usage d’IA générative, qui n’avaient pas nécessairement d’utilité "business" de prime abord. Certains restent pourtant encore utilisés aujourd’hui, à l’instar de la mascotte d’Alan adaptable dans de multiples situations. Ou, encore, de l’utilisation de l’IA pour retranscrire automatiquement les composantes d’une facture de consultation, plutôt que de le faire à la main. Alors qu’Alan reçoit des millions de factures par an, l’automatisation lui permet de les enregistrer en moins d’une minute.

"L’entreprise a donc commencé à évoluer en ce sens, mais nous restions tributaires d’OpenAI. Il fallait faire émerger une alternative européenne", se rappelle Charles Gorintin. Un constat qui aura finalement entraîné le dirigeant, aux côtés de son associé Jean-Charles Samuelian-Werve et de l’ancien secrétaire d’État en charge du numérique, Cédric O, à écrire une stratégie sur la manière dont une entreprise française allait pouvoir se contre positionner.

"Nous nous connaissions déjà avec Cédric O, nous échangions beaucoup sur l’état de la Tech. Fin 2022, nous avons élaboré cette stratégie. C’est à cette période que nous avons rencontré Guillaume Lample, Timothée Lacroix et Arthur Mensch, qui seront devenus les trois co-fondateurs opérationnels et dirigeants de Mistral AI", explique Charles Gorintin. "Il se trouve qu’ils voulaient alors également monter une entreprise de leur côté. Nous avons beaucoup discuté et décidé d’allier nos visions et nos ambitions pour les accompagner de façon non opérationnelle dans la création de Mistral AI, et dans leurs problématiques de levées de fonds", poursuit le conseiller et co-fondateur de l’entreprise. Une stratégie qui s’est avérée payante. L’ascension fulgurante de Mistral AI est bien connue : en à peine un an d’existence, la start-up a levé un milliard d’euros de financements et s’est imposée comme un acteur de taille sur la scène internationale de l’IA.

 

Une recette gagnante

 

Il faut dire qu’en matière de création d’entreprises et d’ascension accélérée, Charles Gorintin peut se targuer d’avoir une certaine expérience. À peine cinq ans après sa création, en 2021, Alan devenait une licorne. Désormais incontournable dans la French Tech et dans le secteur de l’assurance, la société n’a plus rien d’une start-up : elle emploie 600 personnes, en assure plus de 500 000 en Europe et quelque 25 000 entreprises font partie de ses clients. Au mois de juin, Alan est même passé à la vitesse supérieure en remportant une consultation auprès du Ministère de la Transition Écologique et de la Cohésion des Territoires pour assurer la santé de près de 140 000 agents, ayant droit et retraités. "Notre culture d’entreprise et notre volonté de construire nous ont assurément aidés. Nous avons été ambitieux et optimistes. Créer une assurance santé n’avait rien d’évident, nous aurions pu simplement créer un courtier. Mais nous avons toujours voulu attaquer les sujets par la face nord. Il est certain que nous avons aussi profité d’un climat favorable dans la French Tech, avec tout un écosystème qui était en train de se structurer", observe Charles Gorintin.

Tout n’aura pas non plus été un jeu d’enfant pour autant. Résister aux concurrents installés ou devenir assez pertinents pour pouvoir remporter de grands contrats n’est pas arrivé du jour au lendemain : "Nous avons surtout bénéficié d’une équipe incroyable. Nous avons des talents en France qui sont capables de rivaliser à l’échelle mondiale, encore faut-il les insérer dans un projet qui ait du sens, leur donner une culture qui leur permette de s’exprimer et de prendre des décisions. Ce sont les sous-jacents, les fondations que nous avons construites très tôt, qui sont probablement la clé de notre succès", remarque le dirigeant.

 

Construire l’après

 

Une notion de construction de la société qui lui importe. Par exemple, au sujet de la santé mentale, Alan Mind permet à ses assurés d’être accompagnés par des thérapeutes. "J’ai fait un burn-out lorsque j’étais chez Instagram et je me suis senti déboussolé, j’étais en Californie, il était difficile d’exprimer ce que je vivais et j’avais beaucoup de mal à m’y retrouver dans le système de santé. Casser le tabou de la santé mentale et faire bénéficier à nos membres d’un accompagnement thérapeutique m’apparaît primordial", pointe-t-il.

La suite de sa carrière ? Charles Gorintin la voit résolument chez Alan. "Ma vie professionnelle, ce sera ça. Nous nous sommes dit avec Jean-Charles que nous allions continuer à travailler sur Alan pendant vingt ans, nous voulons créer un acteur mondial qui permettra à chacun de mieux gérer sa santé et utiliser l’IA de manière positive". Une technologie, tout comme le fait d’entreprendre, que Charles Gorintin aborde avec philosophie : "Il est possible de transformer la société avec une forme de volontarisme et l’IA est une forme opportune pour le faire, car elle rendra de nombreuses choses accessibles au plus grand nombre. La vérité est dans le fait de faire, plus on entreprend et plus ce sera bénéfique pour la société. Il faut réhabiliter l’optimisme, l’on a tendance à prendre tout pour acquis. Mais tous les murs qui existent ont été conçus par quelqu’un. Souvent, cela a démarré avec une aventure entrepreneuriale", estime l’ingénieur.

D’autant que l’aventure ne risque effectivement pas de s’arrêter de sitôt pour l’entrepreneur, alors que construire de nouvelles choses semble bien être ce qui le guide. Tous les six à douze mois, Charles Gorintin tente en effet de prendre du recul sur son travail, pour aborder et finir par maîtriser un nouveau sujet auquel il ne connaît pas grand-chose. Avec le plaisir de recommencer quelque chose à zéro bien installé : "J’essaye de cultiver mon esprit de débutant", souligne-t-il.

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