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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Panique à Bercy
par Yves de Kerdrel

Sept ans après son emménagement au Ministère de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire – qui a inventé le « quoi qu’il en coûte » - semble découvrir que les dépenses publiques sont trop importantes avec comme premier poste budgétaire la charge de la dette. Il faut souhaiter que cette révélation tardive soit liée à une réelle volonté de rigueur et non pas au souci de faire plaisir à Moody’s et à Standard & Poor’s.

10/03/2024 - 06:30 Lecture 11 mn.

Bruno Le Maire est un garçon sympathique. D’abord il est, parmi les hommes politiques de cette génération, l’un des seuls à avoir une vraie culture générale et un intérêt pour les affaires du monde. Il est normalien, agrégé de lettres modernes et énarque. Il parle couramment l’anglais et allemand, tout en ayant un vrai style littéraire qui lui a permis d’être édité dans la prestigieuse collection blanche de Gallimard. Ce qui lui a valu beaucoup de jalousies au sein du monde politique.

Avec toutes ces qualités c’est d’autant plus dommage qu’il lui ait fallu attendre de passer sept années au Ministère de l’Économie et des Finances pour découvrir qu’avec un taux de dépenses publiques qui dépasse 58 % de la richesse nationale, l’État est devenu une "pompe à fric" comme il l’a expliqué la semaine passée dans une interview au journal Le Monde. C’est pourtant le même Bruno Le Maire qui a instauré un bouclier tarifaire sur le gaz et l’électricité qui a coûté entre 2022 et 2023 pas moins de 85 milliards d’euros. Un dispositif pour le moins critiquable dans la mesure où il a laissé de côté bon nombre d’artisans alors qu’il a profité à tous les particuliers sans distinction de revenus. Sans parler du quoi qu’il en coûte qui a accru notre dette publique de 240 milliards d’euros.

 

Des engagements jamais tenus

 

Il faut dire qu’après plusieurs années où les recettes fiscales (notamment l’impôt sur les sociétés) ont été supérieures aux prévisions, le locataire de Bercy voit cette tendance s’inverser. Si bien que le déficit budgétaire qui était attendu à 4,9 % du produit intérieur brut au titre de 2023, sera "significativement" au-delà de ce chiffre, selon les dires de Bruno Le Maire lui-même. Et de 5,3 % selon les estimations des prévisionnistes. La France va donc être, une fois encore, fidèle à cette fâcheuse habitude que François Villeroy de Galhau ne cesse de dénoncer. C’est-à-dire fixer des engagements budgétaires que nous sommes incapables de respecter. Alors que nos voisins allemands affichent chaque année des comptes publics meilleurs que ce qu’ils se sont engagés à établir.

Tout cela explique le coup de rabot de 10 milliards d’euros que Bruno Le Maire est allé annoncer au journal de 20 heures, le 18 février dernier, et qu’il qualifie aujourd’hui de "frein d’urgence". Avant de laisser envisager – ce qui est un secret de polichinelle – un projet de loi de finances rectificative après les élections européennes. Et s’agissant de 2025, alors que mercredi matin il annonçait dans Le Monde un besoin d’économies de 12 milliards d’euros, Thomas Cazenave, son ministre délégué aux comptes publics parlait lui d’un montant "proche" de 20 milliards à répartir entre l’État et la Sécurité Sociale. Présent avec son ministre délégué devant la commission des finances du Sénat, Bruno Le Maire a explicitement déclaré : "Nous ne le faisons pas pour les agences de notation, nous le faisons pour les Français. Laisser filer la dépense publique n’est pas la bonne réponse à la situation du pays". Dont acte. Même si Moody’s et Fitch doivent se prononcer sur nos finances publiques le 26 avril prochain. Et Standard & Poor’s le 31 mai prochain.

 

Les Français s’approprient la question de la dette

 

Sans que l’ensemble des Français disposent des comptes de la nation la question des finances publiques devient un réel sujet de préoccupation. Un sondage Elabe réalisé pour Les Échos et l’Institut Montaigne vient de nous apprendre que si 84 % de nos compatriotes sont inquiets pour la situation économique du pays, 80 % (soit 9 % de plus qu’il y a un an) sont préoccupés par le niveau de la dette publique.

Et ils ont même des idées de réduction de dépenses. Ainsi, les allocations familiales constituent le domaine prioritaire sur lequel il faudrait, selon les Français interrogés par Elabe, baisser la dépense publique, suivi de près par l’assurance-chômage. Car 80 % de nos compatriotes jugent désormais urgent de réduire la dette publique en France. Et cela quelles que soient les catégories de population et d’électorats.

 

Replongeons-nous un instant dans l’Histoire

 

Un remarquable ouvrage publié à la fin du mois de janvier par Charles Serfaty, un économiste junior de la Banque de France (normalien, MIT, et disciple de Daniel Cohen) nous permet d’avoir une vision historique de l’état de nos finances publiques. Car les rois de France ont très rarement été de bons gestionnaires. À l’exception notable de Philippe Le Bel qui a généralisé l’impôt, instauré l’or comme monnaie d’échange, inventé le réméré et créé l’ancêtre de la Cour des comptes. Comme l’avait montré l’économiste Jacques Mistral la tradition monarchique française a fait que notre pays a toujours préféré la gloire à la rigueur. Même si aujourd’hui nous n’avons ni l’une ni l’autre. J’invite donc tous ceux qui ne l’ont pas encore fait à se procurer cette remarquable "Histoire économique de la France – de la Gaule à nos jours" écrite au cours des six dernières années par ce jeune et talentueux économiste.

L’une des leçons que l’on peut tirer de cette lecture est que pour pouvoir mener des expéditions militaires, il faut bénéficier de finances publiques solides. À un moment où non seulement le Chef de l’État, mais aussi certains experts en géopolitique et quelques dirigeants d’entreprises estiment qu’il faut être prêt à mourir pour Kiev, voire pour la Moldavie (!) - comme nos grands-pères pour Dantzig - on peut s’interroger sur la capacité logistique et économique de notre pays à s’embarquer dans une telle escalade. Et cela, alors même que Volodymyr Zelensky a explicitement rappelé qu’il ne voulait pas de soldats étrangers sur le sol ukrainien.

 

Des motifs de politique intérieure

 

Dans son essai récent "Sommes-nous prêts pour la guerre ?" le journaliste Jean-Dominique Merchet, spécialiste reconnu des questions de défense, rappelle que nos moyens en blindés et en artillerie ne permettent de tenir que 85 kilomètres de front. Or, pour mémoire, la ligne de front en Ukraine s’allonge sur plus de 1 000 kilomètres…

Bien sûr une part de notre liberté et de notre corpus de valeurs se joue sur ce front. Mais avant de dire qu’il n’y a pas de "limite" ou de "ligne rouge" à une intervention française en Ukraine, et avant d’expliquer à nos amis allemands qu’ils se comportent "en lâches", il faudrait être certain d’avoir épuisé les autres solutions. Le plus terrible serait de découvrir que les propos subitement "va-t’en guerre" du locataire de l’Élysée – comme le débat parlementaire qui aura lieu mardi – ne sont justifiés que par des soucis de politique intérieure et l’échéance des prochaines élections européennes.

 

Une très probable baisse des taux au printemps

 

Comme attendu, la Banque Centrale Européenne a laissé inchangé le niveau de ses taux directeurs. Mais elle a ouvert la porte à une baisse des taux au printemps. Et Christine Lagarde a même déclaré que "nous en saurons beaucoup plus en juin". Mais le fait le plus important de ce dernier conseil de la BCE a été l’adoption - à l’unanimité des vingt gouverneurs - d’une position ambitieuse sur l’Union des marchés de capitaux. Il s’agit là d’une déclaration qui s’inscrit dans la droite ligne du discours de François Villeroy de Galhau fait à Gand le 23 février dernier à l’occasion duquel il avait proposé de réorienter cette Union des marchés de capitaux vers son objectif prioritaire, qui est le financement des deux transitions verte et numérique. Avec la volonté d’être plus ambitieux dans les instruments.

La BCE a repris également trois idées chères au Gouverneur de la Banque de France : l’insuffisance des fonds de capital-risque européen, une titrisation verte, et la facilitation des transactions par la technologie avec un "Registre unifié" européen, et la tokenisation des actifs comme de la monnaie de banque centrale. À cela Christine Lagarde a ajouté l’idée d’une "SEC européenne", intégrant la supervision des principaux acteurs de marché. Il est temps que face aux énormes besoins d’investissements énergétiques et numériques l’Europe se décide à mobiliser les ressources d’épargne privée excédentaire. Les prochaines réunions de l’Eurogroupe et du Conseil Européen seront décisives en ce sens.

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