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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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L’Ukraine : un miroir pour la France
par Jean-Baptiste Noé

La proposition d’envoyer des troupes au sol a connu une fin de non-recevoir de la part des pays européens et des États-Unis. La France a tenté de se démarquer et de trouver des solutions à une guerre qui s’enlise et qui devient le miroir de ses propres errements.

09/03/2024 - 08:30 Lecture 7 mn.

 

La tension monte entre Paris et Moscou. La tension monte aussi à Paris où les attitudes de fermeté face à la Russie sont parfois exprimées avec grande véhémence. La faute à une guerre qui dure et s’enlise et dont les portes de sortie apparaissent de plus en plus fermées. Les propositions du président Macron de supprimer les lignes rouges et d’envoyer des troupes au sol ont été réprouvées par les pays européens, par Washington et par l’Ukraine elle-même, qui a affirmé ne pas avoir besoin de soldats, mais de munitions. La tentative de résolution de la crise s’est soldée par un isolement diplomatique.

 

Ombres françaises

 

En 2011, selon bon nombre de politiques et de commentateurs, Bachar al-Assad devait tomber "dans les dix jours". Non seulement il est toujours en poste en 2024, mais il fut, comme dirigeant de la Syrie, l’invité d’honneur du sommet de la Ligue arabe de mai 2023. Assad est toujours là, la Syrie est réintégrée dans le concert des nations arabes, mais la France demeure dans son impasse stratégique et a perdu ses positions ancestrales au Moyen-Orient.

Le risque est que dans dix ans Poutine, ou son épigone, soit toujours en poste à Moscou, que la Russie soit parfaitement intégrée dans le grand jeu mondial, mais que la France reste enfermée dans son impasse, quand ses alliés européens auront eux renoué avec la Russie. En diplomatie comme en rugby, la montée en pointe isolée n’est jamais la bonne solution. Les questions ukrainiennes d’aujourd’hui renvoient aux nombreux échecs de la diplomatie française depuis le début des années 2000, qui nous voient rejetés d’Afrique et effacés du monde arabe, nos zones traditionnelles d’influence et d’affection.

 

Nuit tactique

 

Que l’ordre international ait été violé par l’invasion de l’Ukraine est une chose. Le problème c’est qu’aujourd’hui la Russie contrôle la partie Est de l’Ukraine, que Kiev manque d’hommes et que les Européens n’ont pas les moyens militaires de chasser les Russes. Non seulement l’armée française manque de moyens, d’armements, de munitions, mais elle manque aussi de soldats. Elle peine de plus en plus à recruter et elle voit, là aussi de plus en plus, des saint-cyriens fraîchement diplômés quitter les rangs pour rejoindre d’autres activités professionnelles.

On ne fait pas la guerre sans armée et nous n’en avons pas pour mener une guerre d’attrition. On ne fait pas non plus la guerre sans finance. Un pays surendetté et surimposé est prisonnier de sa dette et ne dispose pas des moyens de ses ambitions internationales. Pour avoir omis l’essentiel, à savoir qu’un pays, pour être puissant, doit disposer d’armée et d’argent, nous sommes entrés dans une nuit de la tactique qui nous empêche de trouver des solutions adaptées. Comme le rappelle le dicton de l’époque moderne : "Point d’argent, point de Suisses."

 

Lumières stratégiques

 

Pour vaincre un ennemi, mieux vaut l’attaquer sur ses faiblesses. La Russie étant l’un des principaux producteurs et exportateurs de gaz et de pétrole, il est évident que nous sommes tenus par cette nécessité énergétique. On le voit, en dépit des sanctions, l’Europe continue d’acheter des hydrocarbures russes, qui transitent par l’Inde ou la Turquie.

Pour affaiblir la Russie, et se renforcer nous-mêmes, l’indépendance énergétique est donc la première action à mener. C’est une action longue, qui prendra au moins dix ou quinze ans. Mais si nous avions commencé en 2014, au moment des premiers remous en Ukraine, le chemin serait quasiment achevé aujourd’hui. Indépendance énergétique avec le nucléaire, contrairement à la politique allemande, indépendance aussi par la multiplicité des approvisionnements et la découverte de nouveaux gisements. On devrait à cet égard se réjouir d’avoir en France une entreprise comme TotalEnergies.

La lumière stratégique, c’est aussi attaquer la Russie sur ses marchés en menant des offensives commerciales et diplomatiques. Par exemple dans les pays en "stan" de l’Asie centrale, cœur de l’Eurasie et carrefour des échanges mondiaux, et qui craignent la puissance impériale russe. Depuis février 2022, ils ne veulent plus être "l’étranger proche" de la Russie. À nous de les attirer dans notre sphère d’influence. Le récent voyage d’Emmanuel Macron au Kazakhstan étant à cet égard de bon augure. Face à une Russie engluée dans l’Europe du Donbass, à la France de nouer des partenariats en Asie pour réduire l’influence de Vladivostok et ainsi rétrécir la Russie. Il doit être possible de proposer aux Chinois et aux Indiens autre chose qu’une alliance avec Moscou.

Enfin il y a l’Iran, qui fournit des armes à la Russie, qui fait transiter des hydrocarbures et qui recycle une partie des devises. Aider les émeutes populaires en cours pour leur permettre d’aboutir serait une façon habile de contribuer à la paix et à la prospérité au Moyen-Orient, tout en ramenant ce pays dans le camp occidental. Si la Russie nous déstabilise à Bamako, à nous de la déstabiliser en retour à Téhéran.

Il est vrai que Poutine ne comprend que la force. La force que nous pouvons lui opposer ne peut pas passer par l’armée et les sanctions puisque nous n’avons plus assez de soldats et de trésorerie. La force française doit donc passer par une vision géopolitique globale consistant à créer des réseaux d’influence, à actionner des leviers et à couper les soutiens de la Russie en les ramenant dans notre camp. Une manière de faire usage de la force sans risquer une montée aux extrêmes.

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