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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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Francophonie : chef-d’œuvre en péril
par Jean-Baptiste Noé

Vecteur de culture, pilier de puissance, la langue française est plus qu’un outil de dialogue entre les personnes. Mais de l’Afrique au monde arabe, la francophonie s’effrite et s’évapore : le français perd de son prestige.

20/01/2024 - 08:30 Lecture 6 mn.

La scène se passe mi-janvier à Dakar lors des Assises de la presse francophone, qui ont regroupé de nombreux journalistes d’Afrique, d’Orient et d’Europe, ayant le français en commun. Un soir, lors d’un dîner de gala organisé après la journée de travail, dîner où était présent le ministre de la Culture du Sénégal, un groupe sénégalais fut convié à l’animation musicale. La première chanson de la soirée qu’entonna le chanteur présent avait pour refrain des paroles claires et sans ambiguïté : "France dégage". Refrain repris à plusieurs reprises. Cette première chanson passée, le tour de chant se poursuivit sans heurts, avec une série de chants africains. Mais qu’une telle chanson soit interprétée devant des officiels démontre que le "sentiment" anti-Français a dépassé depuis longtemps le stade du sentiment pour devenir une réalité.

 

"Français dégage"

 

Un explicite rejet de la France qui se concrétise dans les affiches publicitaires du Sénégal où le français est de plus en plus remplacé par le wolof, langue parlée de façon courante par la population. Le changement de langue dans la publicité est un indice fort de l’effacement du français comme langue du quotidien.

La disparition du français touche aussi le Maroc, où une partie de plus en plus nombreuse de la population ne souhaite plus l’apprendre à l’école, soit parce qu’il est perçu comme la langue de la haute bourgeoisie, soit parce qu’il est associé à un pays désormais en froid avec Rabat. Ces derniers mois, plusieurs colloques et interventions publiques se sont tenus en anglais et en espagnol et non plus en français.

En Algérie, les écoles qui suivent les cours en français ne sont plus subventionnées par le gouvernement, contraignant un grand nombre d’entre elles à fermer.

En Syrie, le lycée français de Damas survit grâce au dévouement de professeurs passionnés et au soutien financier de grandes familles syriennes encore attachées à la France. Mais celui d’Alep, créé en 1997, est "mis en sommeil" en 2012, sans que son réveil ne soit envisagé.

Le français s’évapore et disparaît dans des pays et chez des populations qui étaient pourtant très francophones et qui ne partageaient pas seulement une langue, mais la culture de cette langue, les idées, les histoires et qui étaient des relais personnels pour des échanges politiques et économiques. La disparition du français parmi les élites de l’Orient et du Maghreb est un fait majeur depuis une quinzaine d’années, qui isole de plus en plus la France de ce qui fut longtemps des régions d’influence.

 

Former les élites

 

Au-delà des pays traditionnellement francophones, le français fut aussi la langue d’une partie des élites, en Europe, aux États-Unis, en Amérique du Sud. Par manque de soutien aux lycées français, par erreurs diplomatiques répétées, la francophilie s’estompe au Brésil et au Chili, comme dans une partie de l’Europe de l’Est.

Ce n’est pas uniquement pour une question de puissance que le français doit être soutenu et défendu à l’étranger, mais aussi pour sa dimension culturelle et humaine. En économie comme en culture, les monopoles ne sont pas bons. L’hégémonie de l’anglais se mue en monopole du fait de l’effacement des autres langues culturelles, ce qui n’était pas encore le cas il y a une génération. En France, de nombreuses formations dans les universités et les écoles, dont certaines financées par l’État, font le choix de dispenser leurs cours en anglais, espérant ainsi attirer des étudiants étrangers. Comme si la culture française n’était plus assez forte pour attirer par elle-même. Un choix stratégique discutable : quitte à avoir des cours en anglais, les étudiants préféreront se rendre dans un pays anglophone.

À terme, cet effacement du français nuira aux entreprises nationales en les privant de relais culturels et de contacts humains qui auraient pu les aider dans leurs conquêtes de marché.

 

Enjeu de présence mondiale

 

L’un des objectifs internationaux de la diplomatie française devrait être le soutien à des lycées français ciblés, en Amérique latine, au Proche-Orient, en Afrique, y compris en Asie, d’une part pour permettre aux enfants des cadres expatriés de pouvoir bénéficier d’une bonne formation, d’autre part pour former les élites du pays en vue des échanges futurs. En accordant une certaine autonomie à ces établissements, en rémunérant les professeurs comme des cadres expatriés, en proposant une solide formation en culture et littérature française. Pour que la voix de la France puisse s’exprimer dans sa langue et que sa culture puisse en irriguer d’autres.

Il est encore temps d’agir, avant que les braises ne soient définitivement froides. C’est un enjeu pour la puissance française, pour concurrencer la culture anglo-saxonne, mais aussi pour apporter une voix originale et différente à celle des grands empires en réveil.

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