Macro-économie / Taux / Michala Marcussen / Société Générale / 2026
Macro-économie / Taux
Michala Marcussen / Société Générale / 2026
L’année 2026 vue par… Michala Marcussen / Chef économiste du groupe Société Générale
Quelle forme affichera l’économie française en 2026 ? Le manque de confiance envers les institutions politiques se traduira-t-il par un nouveau recul de l’investissement des entreprises dans notre pays ? L’Europe trouvera-t-elle les moyens de donner un coup d’arrêt à la déferlante manufacturière chinoise ? Quelles conséquences aurait une possible mise sous tutelle de la Fed par Donald Trump ? L’adoption de l’intelligence artificielle par les entreprises se transformera-t-elle enfin en levier de croissance ?
Quel est votre scénario de croissance en Europe et en France pour 2026 ? Quel est le principal aléa autour de vos prévisions ? L’expansionnisme budgétaire de l’Allemagne sera-t-il une variable clé ?
L’année 2025 a montré la résilience de l’activité mondiale malgré de nombreux facteurs de ralentissement, qu’il s’agisse de l’augmentation des droits de douane américains, de la fragmentation géoéconomique, de l’inflation persistante ou de nombreuses sources d’incertitude, y compris celles résultant de la situation politique en France. La résilience de l’économie a été soutenue par des facteurs favorables en 2025 mais ils sont en train de s’affaiblir.
Sur le plan intérieur, nous observons une transmission plus lente des effets de la désinflation vers le revenu des ménages. Ainsi, même si la transmission vers le crédit des baisses passées de taux de la BCE est en train de s’effectuer, la marge de réduction supplémentaire en 2026 semble limitée, compte tenu du niveau persistant d’inflation dans les services. Pour la politique budgétaire, nous observons des différences notables entre les États membres. La France, par exemple, devrait amorcer un ajustement, tandis que l’Allemagne va dérouler son plan de relance. L’impulsion de l’Allemagne est bienvenue mais elle ne suffira pas à stimuler substantiellement la croissance de l’ensemble de la zone euro.
Sur le plan international, la baisse des prix de l’énergie a donné un coup de pouce aux consommateurs en 2025. Les prix devraient rester bas en 2026, mais une baisse de même nature est peu probable. Par ailleurs, les effets d’anticipation des commandes liées aux hausses de tarifs ont été importants en 2025 mais ils vont se dissiper. En 2025, l’Irlande a ainsi contribué de manière exceptionnelle à l’activité de la zone euro, avec une croissance de plus de 10 %, stimulée par les exportations du secteur pharmaceutique en anticipation de la hausse des tarifs américains. Enfin, la concurrence chinoise pourrait s’intensifier davantage en 2026.
La montée en puissance des investissements liés à l’IA est un moteur majeur de l’économie mondiale, notamment aux États-Unis. Nous estimons que leur contribution à la croissance du PIB américain en 2025 est d’environ un point de pourcentage, dont une moitié sous la forme d’investissements ajustés du contenu importé, et l’autre sous la forme de dépenses accrues des ménages liées aux effets de richesse de leur patrimoine boursier. Bien que ces dynamiques restent solides, une impulsion d’ampleur similaire en termes de contribution à la croissance semble peu probable en 2026. Il est par ailleurs trop tôt pour voir la matérialisation des gains de productivité de ces investissements. La forme de courbe en J de l’impact de l’investissement sur la productivité est bien connue dans la littérature économique. Nous estimons que les gains de productivité de l’IA ne seront significatifs au niveau macroéconomique qu’à la fin de cette décennie.
Il existe des obstacles supplémentaires à la croissance en 2026 : l’incertitude géopolitique persistante, la fragmentation géoéconomique et l’affaiblissement de la démographie aux Etats-Unis lié aux restrictions sur l’immigration. A contrario en zone euro, les ménages pourraient baisser leur taux d’épargne bien que cela semble peu probable dans le contexte actuel.
Pour la première fois depuis 2018, la Fed va avoir un nouveau patron. Au regard du contexte de sa nomination et des pressions exercées par Donald Trump sur le FOMC, pourrait-on assister à une vassalisation de la politique monétaire américaine ? Si oui, y aura-t-il des retombées ?
Les dernières projections des membres du FOMC montrent une division de leurs prévisions, certains préférant plus de baisse tandis que d’autres en préfèrent moins. Cette diversité de points de vue reflète une vision différente de l’économie associée à une pondération différente du double mandat de la Fed : stabilité des prix et plein emploi. Les colombes souhaitent souscrire une assurance contre les risques de baisse d’emplois, tandis que les faucons restent attentifs à l’inflation qui demeure au-dessus de la cible.
Le changement de président de la Fed, prévu en mai 2026, sera un événement important pour les marchés. Les craintes que la Fed puisse perdre son indépendance ont été atténuées début décembre par la reconduction de 11 des 12 présidents de banques régionales. Le prochain président de la Fed jouera certes un rôle important dans la communication de la direction, mais la reconduction des présidents de région réduit le risque immédiat quant à son indépendance.
Le risque d’une dominance budgétaire persiste néanmoins, compte tenu du niveau élevé du déficit budgétaire, de la hausse de la dette publique et d’un programme d’émissions de plus en plus axé sur les échéances courtes. Le nouvel outil d’achats de gestion des réserves (RMP) de la Fed soulève certaines questions. Son objectif déclaré est d’octroyer des réserves suffisantes au système bancaire, mais il soutiendra également le segment court du marché du Trésor jusqu’à 3 ans. Un RMP pérenne et en expansion pourrait faire basculer l’instrument de gestion technique de la liquidité vers un soutien de facto au financement de l’Etat. Ainsi, la taille de RMP sera un facteur à surveiller en 2026.
Depuis de nombreux trimestres, le secteur manufacturier chinois accroît sensiblement ses parts de marché mondiales, ce au détriment de l’industrie européenne. Si les rapports Draghi, Letta et Noyer constituent des réponses à moyen terme pour donner un coup de fouet à notre compétitivité, existe-t-il des mesures clé en main pouvant être déployées afin de sauvegarder le tissu productif du Vieux continent ?
Les mesures antidumping contre des concurrents externes peuvent offrir à l’industrie européenne un certain répit à court terme, mais elles ne résoudront pas les problèmes de compétitivité. Une action urgente est nécessaire pour freiner un déclin structurel qui semble de plus en plus irréversible. Le rapport Draghi a clairement défini ce défi existentiel, affirmant que si "l’Europe ne peut pas devenir plus productive, nous serons contraints de choisir". Il observe en outre que "l’Europe est coincée dans une structure industrielle statique avec peu de nouvelles entreprises qui émergent pour bouleverser les industries existantes ou développer de nouveaux moteurs de croissance". Ainsi, l’objectif de la politique européenne devrait être d’assurer un modèle viable, capable de contribuer à la prospérité pour financer ses modèles sociaux, plutôt que de défendre un modèle en déclin contre des menaces extérieures.
L’UE a de solides atouts à exploiter. Mieux exploiter le marché unique et les Unions de compétences, comme celles de l’énergie, du secteur bancaire et des marchés de capitaux, apporterait des gains substantiels. Cela prendra indéniablement du temps, mais cela ne peut excuser la procrastination. Il n’a fallu à l’Europe que sept ans entre la signature du traité de Maastricht en 1992 et la livraison de l’euro le 1er janvier 1999. En comparaison, le marché unique date de 1986 et n’a pas encore pleinement tenu ses promesses. L’Union bancaire, encore incomplète, a été adoptée en 2012 tandis que le premier plan d’action pour l’Union des marchés de capitaux (ou Union pour l’'épargne et l’investissement) date de 2015, de même que l’union énergétique.
L’Europe n’est aujourd’hui pas seulement exportatrice nette de biens et de services, mais aussi d’idées et de capital prêt à prendre des risques. Inciter les innovations et le capital-risque à rester au sein du marché européen est essentiel pour assurer une croissance durable.
En vue de l’élection présidentielle française de 2027, les ébauches de programme des candidats pourraient être dévoilées l’année prochaine. Par ordre d’importance, quelles seraient les trois mesures à adopter pour muscler le potentiel de croissance de l’Hexagone ?
La France bénéficierait énormément de la mise en œuvre de l’agenda européen en matière de réformes, mais des mesures sont urgentes au niveau national. Le spread souverain de la France affiche aujourd’hui un écart de rendement élevé par rapport à l’Allemagne, ce qui exerce un frein constant sur l’économie. Ne pas inverser cette tendance pourrait entraîner de nouvelles baisses de la notation souveraine de la France, avec le risque de déclencher une situation plus grave.
La solution à trouver pour améliorer les finances publiques est une équation complexe. Il existe un consensus sur la nécessité de réduire le déficit, mais les désaccords sont profonds sur les mesures à prendre. Ce débat continuera en 2026 et se poursuivra jusqu’à l’élection présidentielle du printemps 2027.
La réflexion sur l’équité et l’égalité ne devrait pas se limiter à la répartition des revenus, mais porter aussi sur la mobilité sociale. En termes de redistribution des revenus, la France se compare favorablement aux modèles nordiques de bien-être, mais elle accuse un retard en termes d’efficacité des politiques, notamment en termes de mobilité sociale ascendante. L’éducation, qu’elle soit à l’école ou en apprentissage tout au long de la vie, nécessite une réforme substantielle, avec la possibilité d’une amélioration significative en allouant plus efficacement les ressources. La simplification des marchés du travail et la réduction de leur rigidité est une autre piste de réforme.
Une autre priorité serait de stimuler l’offre de capital prêt à prendre des risques. C’est une question traitée au niveau européen avec l’Union pour l’épargne et l’investissement, mais le mode de financement des retraites au niveau national est également important. En reprenant l’exemple des pays nordiques, on observe que les fonds de pension contribuent non seulement à soutenir un modèle de retraite durable mais aussi à canaliser une partie de l’épargne vers des projets innovants, favorisant la croissance économique.
La France bénéficie d’une économie diversifiée et d’institutions solides. Elle pourrait s’inspirer des pays européens avec lesquelles elle partage des valeurs sociales pour améliorer la soutenabilité de ses finances publiques et de sa croissance.
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