WAN
menu
 
!
L'info stratégique
en temps réel
menu
recherche
recherche

éditorial / Yves de Kerdrel

éditorial
Yves de Kerdrel

éditorial
Brouillard
par Yves de Kerdrel

Après de multiples changements de pied de Donald Trump sur les tarifs douaniers, l’incertitude demeure sur le sort qui sera finalement réservé à l’Europe. C’est le même brouillard qui entoure l’issue possible de l’agression de l’Ukraine par la Russie. Une chose est sûre : en cent jours Donald Trump a sapé la solidité de l’économie américaine, du dollar, des bons du trésor et de Wall Street.

27/04/2025 - 06:30 Lecture 10 mn.

 

Les marchés qui vivaient depuis plusieurs semaines dans l’angoisse des déclarations de Donald Trump, des éclats de voix d’Elon Musk sur le réseau X ou des délires du vice-président J-D. Vance, ont enfin pu souffler cette semaine. Non pas que la venue du locataire de la Maison Blanche à Rome pour l’enterrement du Pape François ait fait subitement tomber sur une lui un soupçon de bienveillance, de mansuétude ou de grâce. Mais la désorganisation complète des chaînes d’approvisionnement de toute l’industrie américaine l’a amené à baisser d’un ton ses revendications en matière de tarifs douaniers, y compris à l’égard de la Chine, qui a décrété un embargo sur ses très précieuses "terres rares".

On a du mal à imaginer les conséquences immédiates des annonces faites le 2 avril dernier par Donald Trump sur l’économie américaine, depuis les grands groupes industriels jusqu’aux consommateurs du Kansas. Car si le président américain a annoncé un gel des barrières douanières pendant 90 jours afin de permettre des négociations bilatérales, une taxe de 10 % frappe toutes les importations d’un montant de plus de 800 dollars. Le transporteur DHL a ainsi annoncé il y a quelques jours suspendre toutes les prises en charge de colis de plus de 800 dollars à destination des États-Unis. Ne serait-ce que dans l’industrie automobile américaine, de nombreux responsables ont appelé au secours face à la pénurie de pièces détachées en provenance du Canada, du Mexique ou d’ailleurs.

 

Spectaculaire dégringolade du dollar

 

En même temps qu’il a cherché à calmer le jeu sur le front commercial, Donald Trump a cessé depuis mercredi dernier ses attaques aussi grossières qu’excessives à l’égard de Jerome Powell et ses déclarations concernant un potentiel limogeage du patron de la Réserve Fédérale. Cela n’a pas suffi, toutefois, à calmer la dégringolade du dollar dont la valeur en euro est passée de 1,02 le jour de l’intronisation du président américain à 1,14 à la veille du week-end.

Ni le locataire de la Maison Blanche, ni le Secrétaire au Trésor, Scott Bessent, ni l’inquiétant président du Conseil des conseillers économiques, Stephen Miran, n’avaient imaginé que les diktats tarifaires allaient entamer le crédit de toute l’Amérique et porter un coup aux fondements de sa suprématie économique que sont le billet vert et les bons du trésor, refuge incontournable d’une épargne mondiale en quête de rendement de sécurité.

 

La fin du "privilège exorbitant"

 

Et même si Jerome Powell semble bénéficier d’un répit fragile et provisoire, les attaques portées par l’administration Trump contre lui n’ont fait qu’amplifier l’onde de choc de la déclaration de guerre commerciale sur la quasi-totalité des marchés. Tout ce qui s’est passé conduit les gestionnaires d’actifs à réévaluer la prime de risque de tous les actifs marqués de l’aigle américain. Qu’il s’agisse des 29 000 milliards de dollars de bons du trésor, des dollars eux-mêmes, mais aussi des actions américaines ainsi que du private equity qui voit se tarir les flots de liquidités. Les "Sept Magnifiques" de la tech américaine ont perdu un quart de leur valeur depuis le début de l’année. Ce qui a eu un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’indice large S & P 500.

Ce grand arbitrage mondial aux dépens de tout ce qui est américain n’est sans doute que le début et une partie seulement du changement encore plus vaste qui s’opère. Car ce n’est pas seulement l’aspect valeur refuge de la dette américaine qui se trouve remis en cause. Mais aussi le rôle des ménages américains comme acheteurs de biens en dernier recours pour l’économie mondiale, et celui de l’armée américaine comme pilier de la sécurité et des alliances politiques qui sont remis en question. Comme l’a déclaré Jens Weidmann, l’ancien patron de la Deutsche Bank, il y a quelques jours à Londres : le "privilège exorbitant des États-Unis - expression inventée il y a plus d’un demi-siècle pour décrire la domination du dollar – n’est peut-être pas gravé dans le marbre".

 

Ruée sur la dette allemande

 

Les investisseurs étrangers détiennent environ pour 19 000 milliards de dollars d’actions américaines, 7 000 milliards de dollars de bons du Trésor et 5 000 milliards de dollars d’obligations d’entreprises. La vente d’une partie de ces actifs financiers a commencé et va se poursuivre. L’adoucissement apparent de Donald Trump pourrait même – de manière contre-intuitive – l’amplifier dans la mesure où ses changements de pied rapide témoignent davantage d’une panique que du pragmatisme. La perte de confiance dans la politique américaine qui en résulte réduit donc le prix que le monde entier est prêt à payer pour les actifs américains.

Ces dommages ne se limitent pas seulement à la réputation de l’Amérique. Le FMI a abaissé, mardi dernier, ses prévisions de croissance mondiale pour cette année et l’année prochaine, et a averti que les perspectives pourraient encore se détériorer. Bien sûr l’histoire économique doit inciter à la modération. Les États-Unis ont déjà porté atteinte à leur propre crédibilité lorsque Richard Nixon a tiré un trait sur l’étalon-or en pleine torpeur du 15 août 1971. Bien sûr, le dollar intervient dans environ 90 % des transactions de change et représente près de 60 % des réserves des banques centrales. Bien sûr il n’existe pas de marché plus liquide que celui des Bons du Trésor. Mais la ruée sur la dette allemande au cours de la semaine passée montre le besoin des financiers de trouver, coûte que coûte, une autre valeur refuge.

 

Vers un nouvel impôt sur le patrimoine

 

Dans cet environnement chaotique le rendement des OAT françaises à dix ans s’est nettement détendu repassant au-dessous de 3,20 %. Ce qui représente une baisse de 40 points de base depuis la mi-mars. François Bayrou reste très impliqué sur les sujets de finances publiques et de respect du cadre budgétaire. De même qu’Éric Lombard et Amélie de Montchalin. Courageusement celle-ci est prête à toucher à quelques "vaches sacrées" de notre coûteux modèle social. Dans un premier temps on pourrait assister à une année blanche pour les prestations sociales (qui ne seraient donc pas revalorisées) ainsi qu’à la fin de l’abattement fiscal de 10 % dont bénéficient les retraités. Et cela en dépit de l’hostilité inconsciente et bêtement démagogique de personnalités de droite ou issues de la droite.

En revanche Éric Lombard semble attaché à ce que la contribution différentielle sur les Hauts Revenus, destinée à empêcher les mécanismes "d’évitement", soit maintenue après cette année. Et cela risque de donner le jour à un nouvel impôt sur le patrimoine (hors outil de travail) avec un taux de 0,5 %. Un impôt dont seraient déduits les montants payés par les contribuables concernés au titre de l’IRPP, de l’IFI ou de la flat tax. Le but, assure-t-on à Bercy, n’est pas de faire rentrer plus que les 2 milliards d’euros attendus cette année au titre de la contribution différentielle. Dans ces conditions on se demande bien pour quoi se donner autant de mal pour construire un nouvel impôt qui va accroître l’instabilité fiscale. Mais à la différence de Jean Cocteau on se gardera bien de déclarer : "puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs".

précédents ÉDITORIAUX
précédents
ÉDITORIAUX

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Le travail c’est la santé… de la Nation

20/04/2025 - 08:30

Éditorial / Yves de Kerdrel

Éditorial / Néron-Trump incendiaire

13/04/2025 - 06:30

Les chroniques de la semaine
Les chroniques
de la semaine

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Tous les chemins mènent à Rome

26/04/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Italie : l’homme fort de l’Europe

19/04/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Tanger Med s’impose en Méditerranée

12/04/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Droits de douane : le choc

05/04/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Envoyer une force internationale en Ukraine ?

29/03/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Le Golfe s’impose dans la diplomatie mondiale

22/03/2025 - 08:30

Chronique / Jean-Baptiste Noé

Chronique / Europe : face aux ennemis, multiplier les partenariats

15/03/2025 - 08:30