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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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Agriculture : chef-d’œuvre en péril
par Jean-Baptiste Noé

Le salon de l’agriculture ne camoufle plus la dégradation continue du secteur agricole français. Autrefois pilier d’une légitime fierté, il est aujourd’hui affaibli et menacé.

04/03/2023 - 08:30 Lecture 5 mn.

 

Le salon de l’agriculture a toujours bonne presse. Les politiques et les particuliers s’y pressent, certains pour inonder les réseaux sociaux de leur selfie en compagnie d’une vache ou lapant un verre de blanc. Il faut en être ; le salon, chaque année, est le dernier lieu où l’on cause. Un rite politique pour vanter la France rurale et la diversité des "territoires" qui masque de moins en moins la réalité d’un monde agricole qui s’effondre. "Ça eut payé. Mais ça paye plus " disait Fernand Raynaud. Mais aujourd’hui nous ne sommes plus dans le comique mais bien dans le tragique.

 

Une mort par les normes

 

On pourra toujours accuser la mondialisation ou la concurrence de la Chine et du Brésil, la réalité est plus crue : la France agricole est d’abord tuée par des normes, produites en France. Entre les papiers administratifs à remplir, les agences départementales et sanitaires multiples à contenter, l’agriculture française est de plus en plus soviétisée. Le déclin est patent : dans les années 2000, la France était le troisième exportateur mondial. Désormais, elle est dépassée par l’Allemagne et les Pays-Bas.

Si quelques secteurs et quelques régions s’en sortent encore bien, la paupérisation du monde agricole est terrible : un tiers des agriculteurs gagnent moins de 350 euros par mois. Quand le revenu moyen annuel d’un paysan suisse est de 60 000 euros, celui d’un paysan français est de 52 000 euros. Le monde paysan survit par les subventions, ce qui crée un système délétère ou le travail ne paie plus. D’autant que pour encaisser ces subventions vitales, il faut accumuler paperasses et fiches Cerfa.

L’engouement réel pour le Salon et l’attrait des Français pour le monde agricole masque mal une autre réalité, celle d’un agri-bashing en plein essor. Alors que la complexité du monde agricole et les évolutions techniques développées au cours des quinze dernières années sont très largement méconnues du grand public, un discours de plus en plus insistant, accuse les paysans de tous les maux. Les voici responsables de l’épuisement des nappes phréatiques, de la pollution des sols et de l’air, du bruit et des odeurs de la ferme, de ne pas être assez bio ou pas assez technos. Bref, de ne pas correspondre aux idéaux d’une agriculture fantasmée. Ce mal-être se traduit notamment par une série de suicides, mal endémique qui touche durement le monde agricole.

Les exploitants agricoles ont la mortalité par suicide la plus élevée de toutes les catégories sociales : près d’un suicide par jour. Les aides gouvernementales n’y pourront rien. C’est d’abord d’une baisse des normes et d’une diminution de la pression sociale dont l’agriculture a besoin. Car outre le poids économique du secteur agricole au sens large (production et agroalimentaire), l’agriculture assure aussi l’entretien et la conservation des paysages ainsi que la sécurité alimentaire. Sans agriculture de qualité, pas de gastronomie, pas de paysages léchés et variés et donc moins de tourisme. Les externalités positives du monde agricole sont nombreuses et difficilement quantifiables.

 

Pénuries et guerre économique

 

C’est pourtant tout l’inverse qui est mené. La filière betterave en fait les frais avec l’interdiction des néonicotinoïdes. Étant donné que leur usage est la seule façon de combattre la jaunisse betteravière, c’est à terme la mort programmée d’un secteur agricole national qui est le premier en Europe et qui emploie plus de 40 000 personnes. S’il n’est plus possible de faire usage du sucre de betterave française, l’industrie agroalimentaire devra importer du sucre venu d’ailleurs, c’est-à-dire de pays où les néonicotinoïdes ne sont pas interdits.

À ces normes destructrices s’ajoutent des accumulations de pénuries. Le monde viticole manque de bouteille, de papier d’étiquette, d’étain pour les capsules des bouchons. Tout le secteur et toutes les régions sont sous tension ; le monde de la verrerie se relance difficilement après les deux années de confinement à quoi s’ajoute la très forte hausse des prix de l’énergie. Pénurie aussi de main-d’œuvre. Même dans les régions où le chômage est fort, le secteur agricole n’arrive pas à recruter.

Les métiers sont pénibles, loin du charme bucolique de la campagne pensée en ville : taille, ramassage, castration du maïs, vendange, autant d’activités saisonnières qui trouvent de moins en moins preneur. La France agricole s’efface, en partie à cause de décisions absurdes. Mais avec elle, outre la beauté des paysages et l’indépendance alimentaire, c’est aussi un levier essentiel de la puissance et de la souveraineté nationale qui se dissout.

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