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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

Chroniques
Jean-Baptiste Noé

Chronique
L’émiettement du puzzle africain
par Jean-Baptiste Noé

Après le Niger, le Gabon. Les dominos français en Afrique tombent les uns après les autres sans que Paris ne puisse réagir. Par manque de possibilités, mais surtout par absence de doctrine. 

02/09/2023 - 08:30 Lecture 6 mn.

Le coup d’État au Gabon fut plus rapide que celui du Niger. Sitôt les résultats à la présidentielle proclamés, sans aucun doute sur la réalité de la fraude, un groupe de colonels et de généraux ont arrêté Ali Bongo et sa famille, pris le contrôle des organes gouvernementaux et suspendus les médias. Le soir, tout était terminé : Ali Bongo mis à la retraite après 14 ans à la tête du Gabon, internet restauré et les multinationales de nouveau sur la route du travail. Une passation de pouvoir sans bain de sang dans laquelle aucune puissance étrangère n’est intervenue.

 

Conflit interne

 

Le coup d’État gabonais est structurellement différent de ceux des autres États. Ailleurs, au Mali, au Soudan, au Burkina, les affrontements politiques épousent les frontières ethniques. Chaque candidat dispose de son armée, de son fief humain, de ses ressources. Il peut donc résister à la charge militaire et s’engager dans une guerre longue, comme c’est le cas au Soudan où l’affrontement commencé en mai dernier n’est pas encore résolu. Rien de tout cela au Gabon. La rivalité entre Bongo et ses officiers n’est pas ethnique mais politique et financière. Victime d’un AVC en 2018, Ali Bongo n’était plus opérationnel. Son clan l’a maintenu au pouvoir jusqu’à la présidentielle en espérant trouver un successeur ; peine perdue.

Le général Nguema, qui vient d’être proclamé chef du gouvernement de la transition, est un pur produit du sérail et cousin de Bongo. Militaire fils de militaire, il fut formé à l’académie marocaine de Meknès. Aide de camp d’Omar Bongo, il prend en 2019 la direction du service de renseignement de la garde républicaine, unité prétorienne en charge de la sécurité du président. Puis il en prend la direction, preuve de la confiance que lui porte le clan Bongo. À la tête de cette unité, il voit tout, connaît tout, sait tout. Il comprend donc que Bongo, gravement affecté par son AVC, n’est plus en mesure de diriger le Gabon. Que de plus en plus impopulaire, il risque d’être renversé, et le système Bongo avec lui. Autant prendre les devants.

La garde prétorienne a donc renversé l’empereur afin de conserver la mainmise sur le système et les prébendes des hommes en place. Les juteux gisements de gaz et de pétrole irriguent les hauts fonctionnaires du Gabon, leur permettant de s’octroyer de belles villas à Libreville, mais aussi en France et aux États-Unis. Ce à quoi nous avons assisté, c’est à une banale révolution de palais qui ne va pas changer grand-chose pour la caste prédatrice qui tient le Gabon. Preuve en est : l’une des filles d’Ali Bongo a félicité le nouveau président et l’a assuré de son soutien.

 

Aveuglement stratégique

 

Le désarroi français est palpable. "L’influence" française en Afrique prend un nouveau coup de canif. Installé par Jacques Foccart en 1967, Omar Bongo fut notamment le monsieur Affaire Elf qui fit trembler la Mitterrandie dans les années 1990. Une autre époque certes, mais dont le logiciel mental n’a pas été mis à jour. La France s’accroche à la fumée de la francophonie alors que si le français est la langue des élites africaines il est de moins en moins parlé dans les rues, remplacé par les langues locales. Le Rwanda a quitté la sphère francophone pour rejoindre la sphère anglophone et d’autres pays pourraient lui emboîter le pas. Les réseaux amicaux tissés dans les grandes écoles civiles et militaires s’étiolent.

L’Afrique de l’Ouest ne représente qu’à peine 2 % du commerce de la France, les entreprises françaises faisant davantage de commerce avec la Belgique qu’avec l’ensemble du continent africain. Dans les universités françaises, les études africaines sont de plus en plus rabougries. C’est une chose d’attribuer des bourses pour étudier l’installation des panneaux solaires ou des systèmes de recyclage, mais s’en est une autre de connaître réellement la tectonique des rapports de forces politiques et humains dans les pays concernés. Si ces coups d’État ont surpris, c’est que les canaux de renseignement et d’information ne fonctionnent plus correctement. Des notes envoyées par les services ont été balayées d’un revers de manche parce qu’elles ne correspondaient pas à l’image que les responsables politiques se faisaient des pays. Image qui ne correspond plus aux évolutions sociales de beaucoup de villes et capitales africaines.

Or il ne peut y avoir d’action politique réussie s’il n’y a pas d’abord une bonne connaissance des pays et un diagnostic correctement posé. On a beaucoup glosé sur le fait que la Russie s’était trompée sur l’Ukraine, notamment en sous-estimant la capacité du peuple ukrainien à résister à l’invasion. C’est vrai. Mais, de la même façon, les dirigeants français se trompent sur l’Afrique, en sous-estimant la soif d’émancipation à l’égard de l’ancienne puissance coloniale. Le "sentiment" anti-français n’est pas un produit inventé par Moscou. Ce sont d’abord des feux internes aux populations africaines, qui grossissent et dont Wagner prend un malin plaisir à souffler sur les braises. Avant que les autres dominos ne tombent, et le plus dramatique, compte tenu du nombre d’expatriés français, serait l’effondrement de la Côte d’Ivoire, il y a urgence à réviser la connaissance et la compréhension des pays d’Afrique de l’Ouest.

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