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Chroniques / Bernard Spitz

Chroniques
Bernard Spitz

Chronique
L’Europe de Miraculix
par Bernard Spitz

Réunis physiquement pour la première fois depuis le début de la pandémie, les 27 ont tenu à Bruxelles un Sommet extraordinaire, du vendredi 17 juillet à 10 heures jusqu’à ce matin. Leur mission : parvenir à un accord unanime sur le plan de relance européen et le budget de l’Union. Échec interdit : il aurait signifié l’incapacité européenne de faire face aux conséquences du virus et un fiasco pour le couple franco-allemand. L’accord – avec ses 68 pages de conclusions - est historique par son ampleur, par la méthode retenue et par ce qu’elle implique en termes d’intégration.

21/07/2020 - 10:00 Lecture 13 mn.

 

Ils sont fous ces Européens… Un Obélix qui serait passé par Bruxelles aurait trouvé depuis quatre jours un air de ressemblance avec son village, quand s’y déclenche la bagarre traditionnelle autour de l’échoppe d’Ordralfabétix, le poissonnier. L’enjeu de ce sommet, c’était que l’Union ne sombre pas comme le bateau des pirates…

Tout s’est passé comme prévu, compte tenu des acteurs en présence et des contraintes de chacun. Oublions les leçons de réalisme données par certains commentateurs à la chancelière Merkel et au Président Macron. Ceux-ci ont eu un choix délicat à faire depuis le début de cette séquence.

Ils ont choisi d’afficher d’emblée une solidarité sans faille pour exercer leur leadership. Cette option présentait l’avantage considérable de crédibiliser la solidité du couple franco-allemand aux yeux des opinions publiques et d’ouvrir la voie à la Commission. Les deux principales économies de l’Union ont ainsi rassuré le reste du monde quant à leur volonté commune à un moment historique de la construction européenne.

Cette option présentait néanmoins un inconvénient majeur : à partir du moment où le couple franco-allemand et singulièrement la chancelière - présidente du Conseil de l’Union Européenne depuis quelques jours — engageaient leur autorité sur un processus, l’échec leur était interdit. En face, l’occasion était donc belle de s’affirmer et de tirer profit de la règle de l’unanimité pour rappeler aux deux grands qu’ils ne font pas la loi.

 

Le Club des malins et des radins

 

Par conséquent les opposants frugaux savaient qu’ils disposaient d’une marge de négociation considérable et ils en ont joué au mieux. Comment aurait-il pu en être autrement ? Jadis la délégation britannique créait au départ un clivage fort qui camouflait les dissensions entre les autres partenaires. Depuis le Brexit, le "meilleur ennemi" ayant quitté la salle, chacun des 27 s’escrime à défendre ses propres intérêts.

Prenons le cas des Pays-Bas. Son Premier ministre Mark Rutte est une sorte de survivor politique depuis une décennie. Il se prépare à des élections législatives au printemps prochain qu’il aborde à la tête d’un gouvernement de coalition fracturé en quatre partis. À sa droite, son ministre des finances se présente comme le défenseur intransigeant des finances de ses concitoyens. Si Mark Rutte faisait preuve de souplesse, ne parlons pas de générosité ou de sens de l’intérêt général, il prenait le risque d’apparaître comme faible et de perdre les élections. D’un autre côté le patronat hollandais, les entreprises qui ont créé la prospérité et la richesse du pays, pense exactement comme l’Allemagne que le temps n’est pas venu de se plaindre du laxisme des pays du Sud : il s’agit avant tout de préserver la capacité de l’Europe à acheter et à consommer des biens et services venant des Pays-Bas. Si Mark Rutte avait porté le poids de l’échec par une opposition aveugle, il aurait alors eu à en répondre devant les forces économiques du pays, leurs salariés et leurs clients. Sans parler des représailles de toutes natures, notamment sur le plan fiscal, auxquelles les Pays-Bas auraient dû s’attendre.

Ainsi coincé entre le marteau et l’enclume, le Premier ministre des Pays-Bas, savait donc qu’il pouvait demander beaucoup, à condition de savoir jusqu’où ne pas aller trop loin. Vétéran des sommets européens, le chef du club des radins s’est surtout comporté en chef du club des malins.

 

Les sujets de discorde et le compromis final

 

Les frugaux, dans le sillage des Pays-Bas ont donc fait traîner les choses, en entraînant les dirigeants européens sur quatre jours de bras de fer pendant lesquels Autriche, Danemark et Suède, rejoints par la Finlande, ont demandé :

1. Une enveloppe globale réduite

2. Une augmentation de la part prêts et une diminution de la part subventions

3. Un droit de veto permanent sur les sommes qui pourraient être allouées par l’Union Européenne

4. Des avantages pécuniaires, notamment la récupération des droits de douane et des rabais sur leur contribution budgétaire

5. Une conditionnalité des aides, en matière de réformes économiques et de respect de l’état de droit et des clauses environnementales.

Pour ajouter à la complexité, il faut rappeler que le Parlement européen a un droit de véto sur le budget 2021-2027 et qu’il a fixé plusieurs lignes rouges : au minimum 500 milliards d'euros de subventions, une conditionnalité sur l’État de droit effective, des nouvelles ressources propres pour le budget (taxe sur les déchets plastiques ; mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ; redevance numérique, taxe sur les larges compagnies) et un budget 2021-2027 proche de la proposition initiale à 1 100 milliards d'euros. Les disputes autour de ces points ont donc trouvé une issue en forme de compromis.

 

A) Le volume total : Les 750 milliards d'euros du Plan de relance de départ ont finalement été validés.

Et c’est une victoire pour le couple franco-allemand et les pays du Sud. Comme l’adoption pour 2021-2027 du Budget européen de 1 074 milliards, principalement financé par les contributions des États et par des taxes nouvelles dont les modalités restent à préciser. Les frugaux voulaient moins d’argent dépensé sur le plan de relance et un budget réduit. Ils n’ont donc pas été suivis mais ont obtenu en contrepartie de baisser substantiellement leur contribution au budget européen.

 

B) L’équilibre entre subventions et prêts accordés aux États dans le Plan de relance.

Les frugaux voulaient moins de subventions et davantage de prêts. Ils ont eu gain de cause. Si leur proposition de deux fois 350 milliards en subventions et prêts a été rejetée, la répartition adoptée de 360 milliards de prêts (au lieu de 250) et de 390 milliards de subventions (au lieu de 500) marque l’infléchissement qu’ils souhaitaient.

 

C) Les recettes nouvelles

Le budget devrait être alimenté par des recettes nouvelles. Or la création d’un prélèvement sur les plastiques non réutilisables à l’horizon 2021 est la seule dont le principe est à ce jour validé. Les frugaux, rejoints en cela par l’Allemagne et d’autres, avec le soutien des entreprises, sont réticents à la logique des taxes. La Commission travaille sur une taxe digitale et un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour les biens importés de l’extérieur de l’Union, dont l’empreinte carbone serait excessive. En tout état de cause le produit de ces taxes ne représentera qu’une fraction faible des montants engagés.

 

D) La gouvernance du plan de relance.

Les frugaux voulaient que chaque pays puisse mettre son veto à des financements qui seraient accordés à d’autres. Cette position absurde et maximaliste aurait paralysé le système. Pour aller toutefois dans le sens des pays frugaux ou tout simplement rigoureux, il est prévu que les bénéficiaires du plan présentent un programme de réformes et d’investissements jusqu’en 2023. Celui-ci devra être compatible avec les priorités de l’Union (transitions climatique et numérique) et prévoir des réformes structurelles. Il devra être validé par la Commission et par les États membres, à la majorité qualifiée. Aucun État n’aura le droit de veto mais chacun pourra porter ses objections devant le Conseil européen.

 

E) Les autres conditionnalités.

L’idée a été avancée qu’un pays qui ne respecterait pas l’état de droit pourrait se voir retirer le bénéfice du plan. La Hongrie et la Pologne qui sont déjà sous surveillance de la Commission européenne, ont été soutenues par la Slovaquie et la République Tchèque, leurs partenaires du club de Višegrad, pour refuser net ce qu’ils estiment être une ingérence dans leur politique intérieure. Ce débat a été escamoté de l’accord final par des rédactions ambiguës qui ne font pas référence explicitement à l’État de droit. Le problème politique demeure néanmoins.

 

Et maintenant ?

 

Le Compromis annoncé va permettre aux frugaux de vanter leurs acquis, aux pays de l’Est d’affirmer leur fermeté, aux pays du Sud de respirer, au couple franco-allemand de dire : mission accomplie et à la chancelière de commencer sa Présidence du Conseil de l’Union européenne sur un succès.

L’impératif était de parvenir à un accord. Les frugaux savaient qu’il leur faudrait lâcher prise à un moment, le risque étant qu’un geste ou un mot de trop conduise à la catastrophe, par négligence. Mark Rutte aura mené là un combat qui le conduira un jour prochain à en perdre d’autres, car ce sommet laissera des traces. Il sera notamment difficile aux autres fondateurs de l’Union d’oublier cette attitude de l’un des leurs. Quant à la question de l’alignement des droits et valeurs avec l’Est, elle reste posée. Pour toutes ces raisons l’Union européenne une fois qu’elle aura tourné la page du coronavirus, devra envisager d’autres réformes.

Cela, c’est pour demain. Aujourd’hui, l’Europe a réussi à négocier un tournant essentiel, cela seul compte. Pour autant, nous sommes encore loin du but. L’essai politique a été marqué, il reste à le transformer opérationnellement, c’est-à-dire à ce que les fonds votés puissent effectivement être rapidement versés.

Première étape avant la fin juillet : une réunion plénière du Parlement européen pour donner son feu vert aux conclusions du sommet. Les discussions techniques se poursuivront à la rentrée pour négocier une bonne vingtaine de textes complexes. Il faudra ensuite le temps, tant au Parlement européen qu’aux parlements nationaux, de les voter, si l’on veut pouvoir débloquer les premiers fonds dès le 1er janvier.

Il faudra bien de la potion magique aux négociateurs pour y parvenir, une recette du druide gaulois que Madame Merkel a peut-être en réserve pour ses prochains mois de présidence. Après tout, Panoramix se traduit bien en allemand par… Miraculix.

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