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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

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Jean-Baptiste Noé

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Nourrir le monde : la première des politiques sociales
par Jean-Baptiste Noé

Commencée aux Pays-Bas en mars 2023, la révolte des agriculteurs touche désormais de nombreux pays en Europe. Après la France, c’est au tour de l’Espagne d’être concernée. À Bruxelles, les paysans multiplient les manifestations. Révoltes contre les normes, contre des décisions administratives pour un rappel des fondamentaux : l’homme doit d’abord se nourrir. 

03/02/2024 - 08:30 Lecture 5 mn.

Ce n’est pas une crise française, mais une révolte européenne. La révolte des paysans ne cesse de s’étendre. Les Pays-Bas, en 2023, puis l’Allemagne, la Roumanie, la Pologne, la France et désormais l’Espagne. Partout en Europe, les agriculteurs se révoltent contre l’excès de normes qui tue leurs métiers, contre l’impression que ceux qui prennent des décisions ne connaissent pas leur métier. Jeudi, 1 000 tracteurs ont envahi les rues de Bruxelles pour protester devant le Parlement européen. Pour l’essentiel, il s’agissait de paysans belges, partageant les mêmes craintes et les mêmes revendications que leurs collègues européens.

La crise est européenne, ce qu’a compris David Clarinval, le ministre belge de l’Agriculture : "La crise agricole préfigure le réveil et le ras-le-bol pour des pans entiers de la société. La Commission doit s’inquiéter. Il y a danger social et démocratique, elle a tort de l’ignorer." Au-delà du monde paysan, ce sont des pans entiers des sociétés européennes qui partagent les motifs des révoltes. D’où le soutien majeur apporté aux agriculteurs.

 

Ukraine et Farm to fork

 

Il y a au moins deux raisons pour lesquelles le continent est touché. La première est liée à l’Ukraine. Pour soutenir l’économie agricole, l’UE a décidé de suspendre les droits de douane afin de favoriser l’exportation des productions ukrainiennes. En conséquence de quoi, les céréales, le maïs, le poulet ukrainien évincent les productions de ses voisins : Slovaquie, Hongrie, Pologne, Roumanie, qui sont désormais vent debout contre cette mesure et demande le retour des tarifs douaniers.

La seconde cause est plus profonde, elle tient au plan Farm to fork, "de la ferme à l’assiette", le fameux Green deal européen. Décidée en mai 2020, cette politique vise à réduire la production de l’agriculture européenne. Réduction des surfaces agricoles, des intrants, des engrais, ce qui devrait engendrer une baisse de la production de près de 20 %. Comme il faut bien nourrir les Européens, la seule issue consiste donc à accroître les importations, d’où les accords commerciaux conclus avec les pays d’Amérique latine.

Cela rappelle la stratégie énergétique de l’Allemagne : réduire sa production en refusant le nucléaire et en misant sur l’éolien et acheter l’énergie nécessaire à la Russie, via son gaz. Non seulement les agriculteurs européens sont condamnés à produire moins, donc pour beaucoup à disparaître, mais les Européens deviennent dépendants du reste du monde et des conjonctures géopolitiques.

 

Insécurité alimentaire

 

Cela procède d’un aveuglement quant aux conflits et aux risques géopolitiques. Croire que l’on peut dépendre sans risque des productions extra-européennes est une dangereuse illusion. Bien évidemment, les Européens importeront toujours des productions agricoles qu’ils ne peuvent pas produire sur leurs sols : café, cacao, fruits exotiques, etc. Mais il est essentiel de garder la main sur les productions agricoles qui assurent une chose certes basique, mais fondamentale : se nourrir. D’où la nécessité d’être indépendant sur les céréales et la viande. Les nombreuses crises géopolitiques le démontrent : attaques des Houthis en mer Rouge, ce qui bloque le commerce mondial et le transit par le canal de Suez, obligeant les transporteurs maritimes à rallonger les communications, guerre en Ukraine qui complique l’exportation des céréales, crise du riz en Asie.

Le riz, qui est un aliment majeur pour une grande partie de l’humanité, connaît aujourd’hui des tensions extrêmement fortes qui aboutissent à des pénuries. L’Inde a ainsi interdit l’exportation de son riz non-basmati et a relevé les prix du riz basmati, ce qui plonge dans la tourmente de nombreux pays asiatiques dépendants de la production indienne. L’Indonésie, l’Arabie saoudite, même la Chine, qui sont de grands importateurs de riz, sont pénalisées par ces tensions sur le marché de la céréale. Derrière les tensions sur les prix et les marchés surgissent toujours les problèmes sociaux des populations qui voient bondir le prix de l’alimentation. L’indépendance alimentaire de l’Europe a été acquise après un long combat et ne date que des années 1960. Il ne faudrait pas que, oublieux de l’histoire et des efforts consentis, les Européens bradent cette politique sociale en s’imaginant qu’ils pourront se nourrir ailleurs, au mépris des risques et des guerres qui parcourent le monde.

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