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éditorial / Yves de Kerdrel

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Yves de Kerdrel

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Vous avez dit : attractivité ?
par Yves de Kerdrel

À une semaine du sommet Choose France, le baromètre annuel d’EY sur l’attractivité confirme la première place de la France en termes d’attractivité de nouveaux projets industriels. Mais l’impact sur l’emploi est moins important qu’escompté. Surtout, l’étude par TotalEnergies d’un projet de cotation principale à New York montre que la notion d’attractivité est bien plus large.

05/05/2024 - 06:30 Lecture 11 mn.

 

L’Élysée prépare activement le septième sommet Choose France qui se tiendra à Versailles lundi 13 mai. Cette année Emmanuel Macron espère réunir au moins 250 chefs d’entreprise (contre 200 l’an passé). Outre les patrons français habitués, parmi lesquels figurent Antoine de Saint-Affrique, Guillaume Faury, Christel Heydemann, Ben Smith, Patrick Pouyanné ou encore Xavier Niel, la Présidence de la République compte sur la présence de James Quincey (Coca-Cola), Albert Bourla (Pfizer), Markus Villig (Bolt), Lars Jorgensen (Novo Nordisk), ou Guangchang Guo (Fosun).

Comme les années précédentes Daniel Kretinsky, qui a déposé vendredi soir un projet de recapitalisation d’Atos, un mois après avoir pris le contrôle de Casino, devrait se voir traité avec des égards particuliers. À noter aussi la présence de Vincent Yang, patron du Taïwanais Prologium. L’année passée, il avait annoncé avoir choisi Dunkerque pour ouvrir d’ici à 2027 une méga usine de batteries électriques au sein de laquelle 6 000 personnes devraient être employées.

 

Le verre à moitié plein

 

Alors que le passionnant rapport fait par Enrico Letta a très bien explicité le décrochage économique de l’Europe par rapport aux États-Unis, le baromètre annuel sur l’attractivité établi par EY est venu apporter un peu de réconfort aux pouvoirs publics et notamment à un Bruno Le Maire à la recherche de bonnes nouvelles. Au sein d’une Europe qui a vu reculer de 4 % l’an passé le nombre de nouvelles implantations d’origine étrangères, la France a enregistré la même tendance (- 5 %) mais elle est tout de même restée le pays le plus attractif d’Europe pour la cinquième année consécutive avec 1 194 nouveaux projets, loin devant le Royaume-Uni (qui ne souffre pas tant que cela du Brexit) et surtout devant l’Allemagne (733 projets, en baisse de 12 % sur un an).

Nous aimerions bien regarder dans ce baromètre tout ce qui ressemble à un verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Par exemple le nombre d’emplois créés par ces nouveaux projets s’est établi à 39 773 en hausse de 4 %. Ces implantations participent largement à la réindustrialisation du pays avec 530 usines implantées ou agrandies l’an passé et concernent des secteurs d’activité aussi essentiels que l’automobile, les équipements industriels, la logistique, l’industrie pharmaceutique et l’électronique. Elles s’accompagnent d’efforts louables en matière de décarbonation et de robotisation de notre industrie. Enfin ces nouveaux projets sont assez également répartis sur le territoire et n’ignorent pas la fameuse "diagonale du vide" qui coupe toujours le pays en deux.

 

Un problème de financement

 

Il reste que l’analyse qualitative de ce baromètre pointe toujours des failles importantes dans le dispositif national. Les patrons étrangers interrogés par EY critiquent fortement les difficultés de financement de ces projets, le rapport compétitivité-coût et bien sûr la fiscalité. Sur ces trois critères-là, la France ne s’établit qu’aux 14èmes, 12èmes et 11èmes rangs en Europe en dépit des réformes et des mesures prises par le gouvernement ces dernières années de manière à accompagner la politique de l’offre. C’est une chose que d’avoir les banques les plus solides et les plus rentables de l’union européenne. C’en est une autre de les voir financer des projets aussi importants.

Et puis sans surprise le climat social – marqué l’an passé par la réforme des retraites – reste un désavantage compétitif. De même que le manque d’ambition du Pays en matière de transition écologique et numérique et une capacité d’innovation qui ne figure qu’en neuvième place du classement. Enfin seulement 7 % des dirigeants étrangers estiment que le coût de l’énergie en France peut influencer positivement leurs décisions, alors que le prix du mégawattheure est revenu l’an passé à un niveau décent.

 

Difficulté sur les projets "greenfield"

 

Un chiffre intrigue également dans ce baromètre établi par EY. Les implantations et extensions en France sont moins denses en emplois que dans le reste de l’Europe. En moyenne, les investissements étrangers créent moins d’emplois dans l’Hexagone (35 par projet) que dans le reste des principaux pays d’accueil des investissements étrangers en Europe (49 en Allemagne et 61 au Royaume-Uni). Cet écart montre que si la France a réalisé d’importants progrès ces dernières années en matière d’allègement des charges sociales sur les bas salaires, ou de réformes du droit du travail, celles-ci sont loin d’être suffisantes pour entraîner la création d’emplois. En 2023 les pays qui sont parvenus à attirer les investissements les plus intenses en emplois sont ceux qui disposent du coût du travail le moins élevé.

Par ailleurs, ces écarts sur l’emploi s’expliquent aussi par la difficulté de la France à attirer des projets "greenfield", bien moins nombreux qu’au Royaume-Uni et qu’en Allemagne. Ce type de projets représentent ainsi 75 % des implantations Outre-Manche et 77 % Outre-Rhin, contre seulement 36 % en France. Notre pays bénéficie de son côté davantage de projets d’extension ou de réinvestissements dans des unités industrielles existantes. Cette prudence de la part des étrangers à l’égard de projets de plus grande ampleur reflète aussi notre handicap propre en matière de durée des procédures, et de rareté du foncier avec une politique nationale qui privilégie l’existant, c’est-à-dire les friches à la conduite de projets ex nihilo.

 

Londres attire les centres de décision

 

Autre élément important de ce baromètre qui n’a pas été assez mis en lumière : nous peinons à attirer les états-majors. Avec 71 projets concernant des centres de décision en 2023, la France fait moins bien que la Grande-Bretagne, pourtant fragilisée par le Brexit (88 projets). Dans le secteur financier, l’écart est encore plus saisissant : alors que l’Hexagone a attiré 39 nouveaux projets en 2023 (- 13 % par rapport à 2022), 108 investisseurs étrangers ont fait le choix de s’implanter ou d’étendre leurs opérations au Royaume-Uni, soit 42 % de plus qu’en 2022.

Pourtant des institutions comme Citigroup, Morgan Stanley ou Bank of America ont délocalisé de Londres à Paris davantage de banquiers ou de fonctions supports au cours des toutes dernières années. On assiste à une offensive de la banque d’affaires Evercore pour s’implanter à Paris en dépit d’un volume d’affaires toujours restreint. Selon Dealogic, les "fees" ne se seraient élevées qu’à 300 millions d’euros depuis le début de l’année contre une moyenne sur trois ans d’environ 470 millions d’euros. Et Goldman Sachs s’apprête à installer dans la Capitale son banquier vedette chargé des institutions financières. L’effet-loupe sur ces initiatives masque manifestement une réalité moins favorable.

 

Et l’attractivité boursière ?

 

Curieusement TotalEnergies a jeté un froid sur ces chiffres en matière d’attractivité en annonçant que le conseil d’administration a demandé à Patrick Pouyanné d’étudier la possibilité de déménager à New York la cotation principale des actions du groupe. Une réflexion dictée par plusieurs facteurs. D’abord, la montée en puissance des actionnaires nord-américains au capital. Ensuite un vrai intérêt des investisseurs et des analystes financiers anglo-saxons pour la stratégie climatique du groupe. Enfin une question de sous-valorisation en termes de Price Earning qui est commune à tous les groupes français (luxe exclu) par rapport à leurs homologues américains.

Cette annonce est intervenue juste avant que Patrick Pouyanné soit auditionné dans le cadre de la commission d’enquête rapportée par Yannick Jadot. Une opération purement politicienne qui permet au sénateur socialiste de faire défiler les grands noms du capitalisme français devant lui (Guillaume Faury, Carlos Tavares, Rodolphe Saadé, Philippe Brassac, Thomas Buberl et bientôt Jean-Laurent Bonnafé). La réflexion de TotalEnergies sur sa place de cotation est également venue "tamponner" la proposition de loi d’Alexandre Holroyd sur l’attractivité financière qui traite, il faut en convenir, de sujets mineurs liés à l’éventuelle cotation de start-up ou au mode de réunion des actionnaires en assemblées générales. Bruno Le Maire a, bien sûr, poussé des cris d’orfraie à l’idée que notre pétrolier national privilégie Wall Street à Paris. Mais que peut-il contre cette idée ? Sinon, éventuellement renforcer le barycentre européen de TotalEnergies en l’incitant à racheter Engie, dont l’état est toujours le principal actionnaire…

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