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Chroniques / Jean-Baptiste Noé

Chroniques
Jean-Baptiste Noé

Chronique
Guerre en Israël, guerre de l’opinion
par Jean-Baptiste Noé

Le conflit en Israël révèle et réveille les fractures du monde. Entre soutiens affichés ou sous-entendus, l’Occident se retrouve de plus en plus seul face à un bloc mouvant. Le sentiment et l’opinion prennent le pas sur les politiques conduites par les États. 

21/10/2023 - 08:30 Lecture 6 mn.

Il y a des guerres qui intéressent peu et qui ont peu de répercussions au-delà des frontières des pays concernés. C’est le cas du Soudan, du Yémen, de l’Éthiopie. D’autres conflits, au contraire, ont une dimension incandescente qui brûle la carte du monde et qui exporte ses conséquences bien au-delà des théâtres d’affrontements. C’est le cas de la guerre en Ukraine et plus encore des affrontements en Israël. Un conflit qui déborde le cadre militaire pour mettre en branle les opinions mondiales.

 

Fractures mondiales

 

Sans surprise, tous les pays occidentaux ont condamné l’attaque du Hamas contre Israël. C’est-à-dire l’Europe, les États-Unis, l’Australie auxquels s’ajoutent des pays d’Afrique et quelques pays d’Amérique latine, tels l’Argentine et l’Uruguay. Chine, Russie et Turquie, notamment, ont appelé à une désescalade, mais sans condamnation formelle du Hamas. D’autres, tels l’Algérie, le Venezuela, l’Iran, ont officiellement soutenu le Hamas. Des choix différents motivés tant par des stratégies de positionnement mondial et de volonté de peser sur les relations internationales que par des considérations de politiques intérieures. La haine d’Israël et l’antisémitisme étant fortement ancrés dans certains pays, il est difficile, si ce n’est impossible, pour leur gouvernement, d’aller à l’encontre de ces sentiments.

 

Le soldat et le diplomate

 

Dans Paix et guerre entre les nations (1962), Raymond Aron estimait que les relations internationales étaient dominées par deux acteurs principaux : le soldat et le diplomate. Depuis, de nombreux travaux ont mis à un jour un troisième acteur, non pas principal, mais majeur tant il influe sur la prise de décision : la foule ou l’opinion. Contrôler l’opinion, lui imposer son idée, sa vision est désormais une action essentielle en temps de guerre. On parlait autrefois de propagande, aujourd’hui on pourrait parler d’influence et de guerre de la communication. Exemple en fut donné cette semaine avec l’attaque subie par un hôpital à Gaza.

Le Hamas rejeta dans un premier temps la responsabilité sur Israël, avançant un chiffre de 500 morts. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la source "Hamas" n’est pas fiable et que la prudence s’imposait. Au vu des premiers éléments de l’enquête, l’hypothèse la plus probable aujourd’hui est que cette attaque soit en réalité une roquette tirée depuis la bande de Gaza, qui est tombée par accident sur le parking de l’hôpital, tuant entre 10 et 100 personnes selon les différentes sources. Si les circonstances exactes de l’événement restent à préciser, le premier discours, celui du Hamas, s’est imposé chez certains comme vérité officielle, cristallisant les ressentiments de l’opinion.

Les gouvernements, quels qu’ils soient, ne peuvent aller à l’encontre de l’opinion et des sentiments, surtout quand ceux-ci fracturent et divisent une communauté nationale. Ce fut le cas en Irak en 2003. Même si Jacques Chirac avait voulu suivre les États-Unis dans cette guerre, étant donné que la population française y était très majoritairement opposée, il n’aurait pas pu engager l’armée française. Napoléon III connut l’effet inverse en 1870. De prime abord opposé à une guerre contre la Prusse, il a dû s’y résoudre face à la volonté nationale à la suite de la dépêche d’Ems, habillement manœuvré par Bismarck.

 

Manipulation de l’opinion

 

Si les gouvernements ne peuvent pas aller à l’encontre de leur opinion, ils peuvent toutefois tenter de l’influer dans un sens voulu. N’est-ce pas ce à quoi nous avons assisté en Afrique face à la diffusion de propos et de vidéos anti-françaises ? Certes, ils y trouvaient là un terrain favorable, mais encore fallait-il que le terrain soit cultivé. Quarante ans après la mort de Raymond Aron, les choses ont changé dans les relations internationales. Le soldat et le diplomate n’ont plus le monopole de la conduite des affaires du monde. L’opinion, avec la radio, la télévision, internet, les smartphones, saute par-delà les médias officiels, les communiqués présidentiels pour se former, s’informer, se déformer auprès de sources autres.

Nous en voyons désormais les conséquences : en Israël le conflit militaire est pour l’instant borné à Gaza, même si des extensions ailleurs sont possibles. Mais le conflit de l’opinion, la diffusion sentimentale, le ressentiment ont largement dépassé les frontières du Proche-Orient, avec des répercussions qui se manifestent dans un lycée d’Arras, un stade de Bruxelles ou des manifestations de rue à Tunis ou à Bogota. Le sentiment transforme tout conflit régional en guerre mondiale. Bon courage au soldat et au diplomate pour, malgré cela, parvenir à recoller les morceaux de la paix.

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